Des réalités des représentations

 »They talk about pornography as a form of fantasy, they actually talk about prostitution as if it were an exercise in fantasy. »

Ils parlent de la pornographie comme d’une forme de fantasme / d’imagination, ils parlent vraiment de la prostitution comme si c’était un exercice d’imagination.

 »What it means is that [the] head [of the male consumer], his psychology is more important than [the pornographic actress’s] life. »

Ce que cela veut dire c’est que les pensées du consommateur masculin, sa psychologie sont plus importantes que la vie de l’actrice pornographique.

Dans ces deux phrases et dans le reste du discours d’Andrea Dworkin, cette dernière remet en cause l’idée que la pornographie ne soit qu’une mise en scène, une production intellectuelle et une expression de pensée (qui puisse donc être défendue par le 1er amendement). La pornographie est aussi et de manière inséparable un acte physique et matériel qui a un effet sur les actrices et acteurs (ainsi que sur les spectateur-rice-s). De la même manière, si la prostitution permet aux clients de réaliser leurs fantasmes, c’est avant tout la consommation d’un acte qui a bien lieu sur une personne, qui, elle, ne voit pas sa propre imagination et ses propres fantasmes se réaliser ou comme ayant une quelconque importance et surtout, qui ne voit son bien-être corporel (et mental) que comme secondaire vis-à-vis de l’expression libre du client (voire même la protection de ce bien-être est en contradiction avec ce que veut le client). Cela voudrait aussi dire qu’il est possible de distinguer l’acte matériel de la pensée qui le motive, les deux s’entre-informent et l’acte sexuel (en particulier l’acte sexuel) a des conséquences très réelles sur la pensée et le mental des personnes qui le pratiquent, tant en amont qu’en aval.

La pornographie est, à la différence du cinéma  »classique », une représentation où les actes physiques montrés sont les mêmes que les actes physiques  »joués » par les acteur-rice-s. Contrairement à Christopher Reeve, qui en tant que Superman, ne vole pas vraiment (il est suspendu à des câbles), lorsque dans une scène pornographique, une femme est montrée par exemple pendue à un arbre et pénétrée, l’actrice est une vraie personne qui a vraiment été pendue à l’arbre et vraiment pénétrée. Seul le jeu, le prétexte, le scénario sont du flan, les actes eux, sont réels. Plus saillant encore : sachant que dans le cinéma classique, il faut bien souvent plusieurs prises pour un seul rendu, une personne qui est pénétrée pendant plusieurs minutes dans un film pornographique l’a probablement été pendant plusieurs heures dans la production de ce dernier et cela a un effet très matériel sur le corps et l’esprit.

Cela informe très certainement pourquoi de nos jours un nombre important d’actrices pornographiques professionnelles ne restent (ne peuvent rester ?) dans cette  »activité » que quelques mois. Beaucoup de femmes commencent vers 18-20 ans et s’arrêtent un an, 18 mois plus tard, ce qui induit logiquement un turnover très important. Cet épuisement rapide des actrices n’est même pas considéré comme un problème dans l’activité pornographique, mais parfois presque comme un outil et un levier possible sur les actrices. Contrairement à ce que la pornographie semble prétendre, la plupart des actrices ne peuvent pas se prêter à des pénétrations régulières et potentiellement de plus en plus rudes, ce pendant des heures sans mettre en jeu leur santé physique et mentale. La plupart des acteurs ne peuvent pas non plus le faire sans avoir massivement recours aux drogues (ou aux prothèses).

Néanmoins, au-delà de cette réalité matérielle (que l’on ne met certainement pas assez en avant), il y a possiblement une certaine dichotomie paradoxale (ouh les gros mots) à voir présenter la pornographie (celle en vidéo en tout cas) comme une forme de représentation et pas de matérialité, ceci étant avant tout le jeu de l’industrie pornographique. Je précise que je ne cherche pas à développer cette idée contre ce que dit Dworkin, loin de là, mais plutôt à accepter comme présupposé l’idée de la pornographie comme seule représentation de pensée pour voir si cela ne mène pas à une contradiction interne.

La pornographie est-elle désirable parce qu’elle stimule l’imagination, joue sur les fantasmes et l’imagination en étant une mise en scène d’acte sexuel ? Je pense par ailleurs que c’est bien ce qu’elle fait, mais c’est parce qu’elle a une réalité matérielle et pas seulement imaginative et que son attrait est justement en opposition avec la proposition qui n’en ferait qu’une représentation : c’est parce qu’elle ne montre pas qu’une représentation (voire pas de représentation du tout) qu’elle est attrayante, mais elle a sans doute néanmoins besoin de se présenter comme seule représentation pour être acceptable et aussi pour pouvoir travailler sur l’imagination et sur les fantasmes. Maintenant que je me rends compte que tout cela est très flou, développons… (pas trop tôt !)

Si les gens trouvent la pornographie désirable ce n’est pas parce qu’elle met en scène des actes sexuels, mais c’est parce qu’elle est des actes sexuels. Petit détour : la suspension de l’incrédulité est un mécanisme tacite qui permet d’apprécier une œuvre de fiction même si cette dernière brise clairement les règles de notre monde (on sait que Superman ne vole pas, qu’il est probablement suspendu à des câbles, mais l’on est capable de se détacher de cette pensée quand on voit le film). La suspension de l’incrédulité est présente aussi dans la pornographie, ce comme dans toute œuvre de fiction : à part si on est dans The Big Lebowski, on sait que le plombier n’est pas là pour réparer quoi que ce soit et que comme dans des Disney et que la fille est, dans le récit, faite (littéralement) pour tomber dans les bras du mec (oui je sais qu’il existe autre chose que la pornographie hétérosexuelle androcentrée mais n’essayons pas de prétendre que ce n’est pas celle qui a le plus d’audience), peu importe que ce soit illogique et mal amené (comme dans les Disney quoi). Néanmoins, je postule ici que ce qui rend la pornographie désirable, c’est justement que la suspension de l’incrédulité est dépassée d’un point de vue matériel : que l’on sait que ce que l’on voit est bien réel, que l’actrice est réellement pénétrée, que tout ce qui se passe arrive vraiment à la personne, mais que cette suspension fonctionne d’un point de vue mental : on accepte que ce qui se passe à l’écran est désirable pour les deux parties (l’acte en général au moins – les acteur-rice-s n’ont pas eux-mêmes besoin d’apprécier, mais ce qui est présenté est appréciable).

En un sens, l’absurdité consommée du contexte (contrairement à la plupart des œuvres de fiction, dans la pornographie, l’histoire sert les actes plutôt que l’inverse) sert à la dés-empathie, permet de libérer l’attention mentale, tandis que cette dernière peut se concentrer sur l’objet réel, c.a.d. l’acte sexuel. Il y a donc selon moi dans la pornographie vidéo un effort double à éloigner la suspension de l’incrédulité parce que c’est l’acte sexuel qui est désirable (et attendu) et à la convoquer à nouveau pour empêcher l’attachement mental et la prise au sérieux de ce qui se passe à l’écran.

Ce que veulent voir les gens dans la pornographie ce n’est pas un jeu, elle est regardée parce que l’on sait que ce qui est fait par les corps de certains sur les corps de certaines est réel. Le jeu et le prétexte souvent outranciers ne sont présents que pour permettre de se détacher de l’humanité des actrices, ce en particulier lorsque la forme de pornographie érotise des actes de violences sexuelles.

Autre point qui nourrit le premier : si la pornographie n’est qu’une représentation, un support pour stimuler l’imagination, alors pourquoi un tel effort est-il donné à la produire sous forme vidéo ? Pourquoi se donner la peine de rechercher de vrais personnes, que l’on va pousser à faire réellement des actes de plus en plus sordides, quitte à leur forcer la main en refusant de continuer à les engager si elles ne se livrent pas à ce que le studio désire, quand bien même elles demandaient de ne pas avoir à faire certaines pratiques (comme ailleurs : non veut dire peut-être et oui veut dire plus).

Si la pornographie n’est que représentations, on peut se demander pourquoi sa forme vidéo est-elle aussi importante puisque la pornographie imagée – des femmes réelles ou même des bandes dessinées devrait produire le même effet (même si on pourrait argumenter que la forme vidéo est plus  »moderne » ou  »de notre temps ») ? Bien sûr cette dernière existe aussi, mais l’effort qui est mis à la produire et à la diffuser est moindre que celle vidéo (sans prétendre que ces effets le seraient aussi). On sait par ailleurs que la projection du spectateur peut s’opérer sans peine dans des personnages animés (sinon des films comme Toy Story ne fonctionnerait pas). Dans ce cas pourquoi a-t-on  »besoin » de vraies jeunes femmes pour produire des scènes pornographiques et en particulier des scènes de tortures érotisées ? La réponse simple serait de se dire que c’est parce que ce que veulent les spectateurs, ce n’est pas une représentation, mais c’est bien que des femmes soient réellement pénétrées et violentées pour leur plaisir visuel. Au-delà même de l’acte sexuel, ce qui fait turbiner l’imagination c’est la connaissance du fait que l’actrice en tant que femme est réellement pénétrée et violentée. L’excitation se déploie non seulement dans la représentation érotisée d’un acte sexuel, mais également parce que les spectateurs sont habitués dans le Patriarcat à être stimulés par la domination sexuelle réelle et matérielle des femmes. Le fait que les actrices pornographiques, tout comme les prostituées soient stigmatisées parce qu’elles font du sexe leur gagne-pain sert d’autant plus à réduire l’empathie possible envers les femmes qui sont pénétrées à l’écran. Cette activité même par sa pratique les transforment dans leur essence même, faisant d’elles des personnes  »faites pour ça » (comme dans les Disney souvenons-nous).

Contrairement à ce que dit John Stoltenberg, la pornographie n’est pas la mise en scène de la violence et de l’humiliation, elle est tout simplement elle-même violence et humiliation. Bien souvent, l’actrice pornographique ne  »signe » pas de son vrai nom, parce qu’elle doit (pour pouvoir maigrement se protéger) devenir une nouvelle femme, une nouvelle personne qui recevra sur elle humiliation et déchaînement lubrique.

La pornographie joue donc sur au moins deux tableaux : la promesse d’une démonstration bien réelle d’actes sexuels, et en parallèle la mise à distance de la réalité et des conséquences réelles pour les actrices de cet acte sexuel. Cette mise à distance a lieu à la fois par des jeux délibérément peu convaincants et par la nature même de l’industrie cinématographique qui fait que le travail de production et les répétitions multiples nécessaires à cette production sont invisibles au visionnage du produit fini. Contrairement à ce que l’on peut souvent entendre, beaucoup de personnes ne font pas la différence entre la pornographie et  »le monde réel » (mais contrairement au cinéma classique, ce que vivent les actrices est toujours réel), parce que ce qui est recherché n’est pas une évasion, mais une expérience plus proche du voyeurisme (avec un peu plus de sophistication). Ce qui donne à la pornographie vidéo son impact, c’est bien la matérialité de l’acte sexuel sur le corps des actrices/femmes. Cette matérialité fait un écho absolument comparable à ce qui existe déjà dans  »le monde réel » du Patriarcat. Ce n’est pas la pornographie qui modifie les comportements  »réels » des gens ou le Patriarcat qui oriente la pornographie : les deux sont exactement la même chose (de la même façon que  »la société » et  »les individus » s’entre-informent et ne peuvent être séparés). Certaines personnes supposent que la pornographie en tant que telle serait neutre, « à la base », et que son hétéro-normativité et son sexisme sont dus à l’influence du Patriarcat (qui la pervertirait, oooh). Je pense pour ma part que c’est absurde : la pornographie existe parce que nous sommes dans un système patriarcal : elle n’existe pas en dehors de lui et en dehors de catégories sexistes et déshumanisantes de la pratique sexuelle réelle ; ceci comme tout autre institution patriarcale comme le mariage par exemple. La pornographie remplie à la fois un besoin du Patriarcat de déshumaniser et d’humilier les femmes (elle montre la violence et la montre comme normale, comme ce qu’est réellement la sexualité), mais elle est elle-même un exercice direct de violence et d’humiliation (sur les femmes qui la pratiquent). La pornographie ne  »donne pas des idées », elle ne fait que matérialiser ce que désire déjà les hommes dans le système patriarcal (au mieux elle exprime en actes clairs les désirs qui sont inconsciemment inculqués aux hommes), elle est une représentation exemplaire non jouée de ce que sont les femmes dans le Patriarcat : des êtres dont l’essence même est de servir d’objets lubriques et sexuels aux hommes. Elle n’est nullement une cassure du Patriarcat ou une forme  »exagérée » de la domination, elle est à la fois norme et domination. On ne peut donc pas s’en servir contre le Patriarcat, parce que son succès et son efficacité dépend des codes qui sont ceux du Patriarcat même.

La production de pornographie alternative voulue non-sexiste ou même supposément féministe n’est pas un frein à la production de la production de pornographie résolument humiliante et sexiste : d’un pur point de vue d’importance économique, il s’agit d’une goutte d’eau dans l’océan, d’un point de vue de support représentatif, la pornographie est relayée dans l’intégralité de la société (publicité, cinéma classique, etc.), d’un point de vue culturel, elle a bien plus de chance de reprendre sans s’en rendre compte les codes essentiellement sexistes de la pornographie que de modifier ceux de la pornographie industrielle (ce qui naît dans les marges y reste). L’existence de pornographies alternatives se négocie au pire en matière de freak-show : en les plaçant hors de la société, ce qui mine à la fois leur production, leur visionnage et la crédibilité de l’auditoire. Il n’y a pas besoin d’activement tenter de faire disparaître l’idée de déviance, il suffit simplement d’exclure de la cité les déviants et de les rendre indésirables. Hors de la société majoritaire, les freaks peuvent bien tenter de créer ce qu’ils veulent, ce ne sera jamais que pour eux et non pas pour leur propre pouvoir mais bien par celui de la société qui les a relégué dans les marges.

On pourra noter également pour finir que la rhétorique du choix de la pornographie et de la prostitution fonctionne de concert avec la notion de stigmate, quoique pas exactement sur les mêmes bases. Si les prostituées et les actrices pornographiques ont  »choisi » cette activité, alors elles sont donc bien faites pour tout ce qu’on leur fait. On pourrait même imaginer que, le stigmate disparu (puisque c’est ce que revendiquent ad nauseam les adeptes du travail du sexe), la notion de  »choix » le remplacerait dans la tête des clients et spectateurs. Ceci bien sûr n’est jamais confronté au fait que ces femmes sont poussées à faire des actes de plus en plus rudes, qu’elles avaient peut-être pensés comme des interdits au début de leur carrière ; que les acteurs pornographiques sont régulièrement félicités d’avoir réussis à  »obtenir » de leur  »partenaire » des pratiques sexuelles non-voulues (J. Deen par exemple a été surpayé pour avoir sodomisé une actrice contre son gré), que puisque c’est la précarité qui en grande partie pousse les femmes à  »choisir » la pornographie et la prostitution, le turnover étant très important, elles ont besoin pour rester dans le circuit de se plier aux demandes de plus en plus exigeantes des studios à mesure que leurs  »carrière » avance.

Néanmoins tout ceci, exactement comme les conditions de tournage des films classiques, restent en marge, comme peu important, après tout The Show Must Go On

Ça commence aussi par Wi

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Parfois ce qui semble être de peu de poids possède une gravitas insoupçonnée.

En tout cas, si vous l’ignoriez, si vous avez l’occasion, ou l’envie (quoique les deux en même temps c’est mieux semble-t-il) de vous recueillir sur la tombe d’une grande féministe s’il en fut, sachez que la modeste mais remarquable sépulture de nulle autre que Monique Wittig, grande figure du féminisme de la Seconde Vague française et grande influence du féminisme américain des années 80-90, est présente au Père-Lachaise, entre tous.

Ce fut une petite surprise de l’apprendre et comme l’occasion et l’envie conjointe nous permirent il y a bientôt quelques temps de nous y rendre, nous avons pu la retrouver (avec un peu de peine) malgré sa plaque sobre et surtout quasi-effacée.

Si vous la cherchez vous aussi ou si vous voulez faire d’elle une sorte de pèlerinage féministe (il y a bien plus idiot), sachez qu’elle se trouve à l’intérieur de la division 89, là où se trouve aussi la tombe d’Oscar Wilde (entre autres).

Qu’on le veuille ou non, fleurir une tombe n’est jamais un acte anodin. La mémoire des gens est une chose qui doit être cultivé et le souvenir s’entretient ou s’estompe. Et à ce jeu-là, les fleurs sont de bons outils pour entretenir la matérialité du souvenir (c’est cul-cul hein?)… Bon et les livres aussi mais ça c’est parce qu’on a la chance que Monique Wittig ait écrit.

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Traductionnite et Réalité matérielle

J’ai traduit ici (de manière complètement amateure) le texte de Susan Cox intitulé  »Coming out as ‘non-binary’ throws other women under the bus » (lien en fin de l’article). Au delà des différentes considérations sur les blogueuses Nord-américaines (que je ne saurais partagé en tout état de cause étant globalement étranger à cette scène internet), le propos général de l’article et en particulier la critique de la position d’identification / dés-identification de Judith Butler m’a paru intéressante et pertinente, ce pourquoi je me suis donné la peine de traduire le texte. La critique de la conception en négatif du concept de non-binarité m’a paru intéressante, toujours parce que je n’ai jamais vu de définition valable partout de la dite non-binarité, en particulier une définition hors des stéréotypes patriarcaux de la féminité et de la masculinité. La définition de non-binarité semble souvent être une définition de non-stéréotypie, ce qui en tant que simple définition de l’humanité me semble surannée.

Au travers de cette distinction on peut distinguer deux écueils à la fois théorique et politique. Le premier et certainement le plus évident est l’opposition entre deux conceptions théoriques du genre qui sont à bien des égards peu conciliables. Pour faire très vite, dans le premier, qu’on pourra signifier par un pluriel (système de genres – ?), il y a une approche du genre comme étant plutôt des genres, et aussi plusieurs manière de mettre cet élément social en jeu (on parle d’identité-s de genre, d’expression-s de genre). Cette approche existait déjà dans les années 60-70, elle a vu une certaine résurgence ces dernières années, en particulier avec les théories queer. C’est certainement une approche plus centrée sur l’individu-e.

L’approche du Genre comme système (on entend parfois parler de système de genre), entend par ce concept une nature oppressive entendue. Le Genre est ici la norme patriarcale, ce qui fait la socialisation genrée inégalitaire et hiérarchique, donc oppressive, la pression à s’y conformer etc. Le Genre est considéré ici comme le fondement de l’oppression patriarcale, son expression directe. Le Genre est donc essentiellement négatif et jamais une possibilité de libération. Cette approche s’intéresse avant tout à l’ensemble des classes de genre (classes des femmes et des hommes) et à une approche englobante, holiste. Non pas que les individu-e-s n’ont aucune porte de sortie, mais le gros du Genre se fait de la société (oppressive) vers elles et eux. Les individu-e-s peuvent ponctuellement redéfinir des normes mais cela n’a que peu d’impact sur l’ensemble du système. En un sens, le Genre est au Patriarcat ce que le classisme est au capitalisme (raccourci analogique).
Ces deux approches sont globalement incompatibles parce qu’elle ne s’entendent pas sur ce que veut dire le genre en tant que tel, pour les unes il s’agit d’une identité ou d’une expression, pour les autres, un élément de l’oppression des femmes. Néanmoins de ce différend disons de définition théorique s’ajoute par dessus un différend politique. La première approche est avant tout considérée par les féministes issues des courants libéraux et/ou queer, la seconde, par celles issues des courants socialistes et/ou marxistes qui sont par la suite ce qu’on a tendance à appeler le féminisme radical. Il est certain que cette différence de définition conduit à beaucoup d’incompréhensions (un mot central à l’analyse ayant deux significations résolument différentes). Mais au delà de l’incompréhension, il y a souvent aussi beaucoup de mauvaise foi dans les deux camps, en prétendant justement ne pas savoir que  »le camp d’en face » utilise une définition différente et que donc les analyses doivent être interprétées à travers un spectre tout à fait différent. Cela n’empêche que l’opposition politique est réelle parce que les deux positions théoriques ne considèrent pas l’enjeu société/individu par le même bout, ce qui modifie totalement les enjeux et les méthodologies.

Une des conséquences est par exemple que pour certaines, le but du féminisme est l’émancipation des femmes par l’accès à l’égalité (c.a.d. avec les hommes), pour d’autres, le but est la destruction du Patriarcat comme système d’oppression. Ces deux trajectoires se croisent assez souvent, mais ne sont pas identiques pour autant.

Un autre problème dans tout cela est la place du langage, particulièrement présente tant en France qu’aux États-Unis, du fait du mouvement d’aller-retour des pensées foucaldiennes (de ce dernier à Butler et de retour en France par exemple) et du post-modernisme en général. Une énorme partie de ces analyses (simplification incoming) se concentre sur l’impact du langage et de la redéfinition de ce dernier pour arriver à solutionner des problèmes. Ceci part du point de vue que le problème n’est pas la réalité matérielle mais la manière dont on en parle. Si tout ceci est très stimulant et intéressant d’un point de vue théorique et analytique, les résultats réels que l’on peut espérer sur la réalité matérielle sont souvent très loin de la complexité du brainstorming requis, pour ma part, je pense que c’est surtout beaucoup de bruit (de bouilloire qui siffle) pour pas grand-chose dans la vie de tous les jours. Cela peut aussi virer vers des trucs très néfastes du genre,  »c’est ta manière de voir les choses qui est nuisible, pas les actes nuisibles que tu subis directement », c.a.d. une complète négation de l’oppression et au finale une astreinte à la passivité de la part des victimes, voire même, un renversement de la responsabilité (les victimes étant des victimes parce qu’elles ont décidés de l’être, il suffiraient qu’elles décident de ne pas être des victimes pour ne pas l’être matériellement). On peut certainement utiliser cela de manière féministe ou anti-oppressive, mais s’imaginer que le système oppressif ne se sert pas de cela et n’a d’ailleurs pas une immense longueur d’avance à ce jeu est complètement illusoire et selon moi détourne une partie des efforts alloués à l’amélioration des conditions matérielles. Il me semble terrible de se concentrer sur sa propre perception du problème que sur les réalités du problème pour pouvoir mieux supporter l’oppression, il s’agit plus d’une reconnaissance de son impuissance à changer la réalité matérielle en se réfugiant dans des choses de l’esprit qu’autre choses.

Anyway… après toute cette avalanche de  »réalité matérielle », le texte à proprement dit.

Ceci étant une traduction rapide et amateure, elle manque très certainement de polissage et de rigueur littéraire. Parfois, certains termes étant complexes à traduire précisément de l’anglais vers le français, j’ai fait une tentative tout en indiquant le mot anglais en italique entre parenthèse (par exemple, traduction de  »male / female » différent de  »man / woman »)

Faire son coming-out comme  »non-binaire » met toutes les autres femmes de côté

Récemment, le truc cool à faire pour les auteures  »féministes » est de faire leur  »coming out » en tant que  »non binaire » ou  »genderqueer ». Ces femmes prétendent être non-binaire en se basant sur la prémisse qu’elles ont des existences et pensées complexes et qu’elle ne s’identifient pas avec tous les aspects de la subordination sociale qu’induit la féminité.

Laurie Penny(1) dit qu’elle se sent enfermée dans son corps de femme alors qu’il se développait à son adolescence en courbes et seins sexuellement objectivés. Jack Monroe(2) se rappelle faire défiler des photos d’enfance qui révèlent qu’elle n’a pas toujours porté des vêtements explicitement féminins :  »Moi, à sept ans, casquette de baseball et jean. Moi, à douze ans, les cheveux rasés n’en laissant que quelques centimètres sur le crâne. Moi, à treize ans, insistant pour mettre des pantalons à l’école comme mon ami Z ». L’éditrice beauté de Good Housekeeping, Sam Escobar(3), a récemment publié un récit sans profondeur de son statut de non-binaire, expliquant qu’elle n’était  »pas exclusivement attirée par les garçons » et que parfois elle  »regardait du porno hétéro… depuis la perspective masculine ».

Si ces supposées indications de statut non-binaire ressemble pour vous à des expériences extrêmement banales, communes à un grand nombre de femmes, vous auriez raison. Ceci parce que l’identité non-binaire est essentiellement dénuée de sens.

Des récits typiques racontés par des femmes  »non-binaires » incluent :  »J’ai toujours aimé avoir les cheveux courts »,  »je n’aime pas être sujet à la violence sexuelle »,  »Je me sens inconfortable dans mon corps de femme ». Souvent, être non-binaire se définit par des choix superficiels qui ne sont pas vus de manière stéréotypée comme  »féminins ». Cependant, même ces choix semblent ne pas être une nécessité pour avoir un statut de non-binaire, comme le montre Escobar, qui a l’air aussi  »féminine » que n’importe qu’elle femme.

Contrairement à certaines catégorisations populaires dans l’idéologie queer ( »trans »,  »fem »,  »genderfluid »), la non-binarité est moins une identification qu’elle est une  »dés-identification ». Le statut de non-binaire se définit sur la base de ce qu’il n’est pas :  »Je ne suis pas un membre de la classe de sous-hommes nommée femmes. Je ne suis pas la chose que l’on baise ».

Une femme faisant son coming out non-binaire est une non-déclaration qui ne souligne rien que le commun dégoût de la classe des femmes. L’alternative à une femme  »non-binaire » est-elle une femme  »binaire » ? Et qu’est-ce que cela veut dire ? Que nous aimons toutes nos corps et que avons réussi à ne pas faire nôtre le point de vue masculin (male gaze) ? Que nous sommes totalement à l’aise avec les stéréotypes genrés qui nous sont imposés ? Se déclarer non-binaire est une gifle à toutes les femmes qui, si elles n’ont pas fait de coming out comme  »genderqueer », sont présumées avoir une essence interne parfaitement en accord avec la parodie misogyne de féminité (ici ce n’est pas le terme femininity mais womanhood qui est utilisé, ndt) créée par le Patriarcat.

Contrairement aux féministes de la Seconde Vague, qui proposaient aux femmes de s’unir collectivement sous la bannière du féminisme, la théoricienne queer Judith Butler mettait en avant la  »désindentification » comme un acte politique progressif. En 1993, Butler mettait en avant que les femmes devaient  »collectivement se désidentifier » avec les autres membres de sexe féminin, comme moyen de  »queeriser » la catégorie de sexe elle-même. 20 ans plus tard, la vision de Butler a porté ses fruits, les femmes proclament fièrement qu’elles n’ont rien en commun avec les autres femmes (females).

Les étranges et apparemment anti-féministes prescriptions politiques de Butler font sens dans le contexte de son plus large projet politique. Dans ces deux principaux travaux sur la théorie du genre (gender theory),  »Trouble dans le genre » et  »Ces corps qui comptent », Butler théorise que le genre n’est pas oppressif à cause des stéréotypes sexistes et hiérarchiques attachés à la masculinité et à la féminité, mais à cause de sa nature binaire, qui, dit-elle,  »exclut violemment » celles et ceux qui demeurent hors des limites (margins) de la binarité de genre. Pour Butler, l’homosexualité peut être autant  »excluante » et en besoin de  »déconstruction » que l’hétérosexualité, car toutes deux sont des termes binaires qui  »efface cruellement » d’autres sexualités, comme la bisexualité. L’objectif politique à long terme de Butler est de rendre la marginalisation impossible en faisant toutes les catégories sociales comme  »inclusives ». Ceci semble avoir réussi d’une certaine façon, de nos jours, alors que nous voyons la fusion de toutes les catégories d’orientation sexuelle dans l’amorphe dénomination  »queer ». (Bizarrement, les oppressions existent toujours, malgré cette re-dénomination magique).

La nouvelle mode de se déclarer  »non-binaire » semble être une nouvelle victoire pour les politiques queer de Butler, tandis que la réalité sociale s’est déformée en une masse d’individus qui sont supposément  »ni hommes et ni femmes ».

Butler se concentre sur l’élimination des marginalisations affectant les identités  »non-normatives » (ce qui pourrait théoriquement inclure n’importe qui des pratiquants du BDSM aux pédophiles), pas spécifiquement les femmes. Elle affirme que la catégorie  »femme » elle-même doit être déconstruite, puisque cela exclut d’autres individus qui ne sont pas des femmes (c.a.d. les hommes – males). Puisque Butler ne se sent pas concernée par la libération des femmes en particulier, le fait que les femmes se dés-identifiant les unes des autres ait des chances de ralentir les efforts des féministes ne semble pas la perturber. Mais bien que Butler ait exprimé que sa politique ne s’intéressait pas particulièrement à la libération des femmes, de nombreuses femmes déclarent tout de même que leur dés-identification non-binaire est un acte féministe.

Au moins, Penny reconnaît(4) que le fait de se dés-identifier d’avec les femmes s’oppose aux politiques féministes, mais elle tente de résoudre cela en disant qu’elle  »s’identifie, politiquement, a une femme ». Ceci est paradoxal, car sa déclaration de non-binarité n’est pas seulement une expression personnelle neutre de son individualité, mais cela est déjà teinté d’une certaine idéologie politique. Dans cette idéologie, lorsqu’une femme se rebelle contre l’oppression patriarcale – révélée par la façon avec laquelle Penny détestait son corps féminin durant la puberté et se sentait douloureusement obligée de se conformer aux standards de la féminité – cet inconfort est vu non pas comme une réaction naturelle à l’injuste imposition du pouvoir patriarcal, mais plutôt comme une indication que cette femme n’est pas réellement une femme.

Si l’inconfort dans la position sociale des femmes signifie qu’une femme est  »non-binaire », alors qu’est-ce que cela veut dire pour toutes les femmes qui ne se déclarent pas elles-mêmes comme  »genderqueer » ? Sont-elles toujours complètement d’accord avec leur vie soumise au Patriarcat ? Ne se sentent-elles jamais restreintes par l’étroitesse des standards de la féminité ? Peu de gens, si aucun, s’alignent parfaitement avec un bout ou l’autre de la binarité de genre, et donc, comme Rebecca Reilly-Cooper(5) affirme,  »si le genre est réellement un spectre, cela ne veut-il pas dire que chaque individu vivant est non-binaire par définition ? »

Escobar note qu’elle  »s’est identifiée considérablement avec les hommes », ce qui n’est absolument pas surprenant, puisque notre culture est presque entièrement dominée par la perspective masculine. Notre littérature et nos films montrent principalement des personnages masculins en tant que héros, méchants et anti-héros, tandis que la plupart des personnages féminins n’apparaissent uniquement qu’en terme de relations avec ces hommes : l’amoureuse, la femme, la mère. Ressentant une aussi intense aliénation (combiné avec le trauma du viol), il est logique qu’Escobar soit sujette à la dépression, aux troubles alimentaires(6), et à la dysmorphie corporelle.

Néanmoins elle ne fait aucune connection entre ses expériences et le pouvoir patriarcal, à la place elle sous-entend que son aliénation et son malheur étaient dus au fait de ne pas avoir reconnu son  »innommable » spécificité (uniqueness) qu’elle décrit comme étant la  »non-binarité ». (Penny attribut pareillement ses difficultés à grandir  »à une époque avant Tumblr où très peu d’adolescentes discutaient du fait d’être genderqueer ou transmasculine ». L’horreur !)

Ce que cela présume c’est que l’oppression structurelle disparaîtra lorsque les femmes réaliseront que leur malheur sous le règne du Patriarcat n’est dû qu’à un problème ou un défaut personnel et individuel. L’idéologie derrière la  »non-binarité » met en exemple le concept libéral de contrat social (c.a.d. l’idée que les individu-e-s vivant sous le pouvoir de l’État sont considéré-e-s comme consentant-e-s à ce pouvoir, sinon iels choisiraient simplement de partir). Lorsque le fait d’être définie de manière simpliste par des stéréotypes sexistes est montré comme un état que l’on peut simplement refusé, volontairement, les femmes qui ne choisissent pas de quitter leur genre sont vues alors comme consentant à ce pouvoir patriarcal.

Je ne peux penser à rien de plus anti-féministe qu’une idéologie qui rend impossible la possibilité d’identifier et de confronter le pouvoir patriarcal, et à la place individualise l’oppression comme si c’était un  »choix personnel ». Penny affirme qu’elle est toujours une féministe, mais que l’obligation pour les femmes de s’identifier avec les autres femmes,  »politiquement ou autrement » constitue  »une putain de connerie » et de la  »police identitaire »(7). Mais le féminisme ne tourne pas autour de problèmes d’identité personnelle. Tout comme ressentir de la douleur en vivant sous le Patriarcat n’est pas une conséquence des particularismes de chaque femme. Malheureusement, on ne peut pas faire son coming out en tant qu’être humain(8) de manière à convaincre les hommes de nous traiter comme des égales. Par pitié, épargnez-nous vos insinuations insultantes sur le fait que nous puissions nous identifier (ou  »dés-identifier ») hors d’une oppression structurelle. Nous allons tenter de construire un mouvement politique avec le but spécifique des libérer les femmes pendant ce temps là.

1.https://www.buzzfeed.com/lauriepenny/how-to-be-a-genderqueer-feminist?utm_term=.vjBG2xyY6#.gwwWE7wjq

2.http://www.newstatesman.com/politics/feminism/2015/10/being-non-binary-i-m-not-girl-called-jack-any-more-i-m-not-boy-either

3.http://www.esquire.com/lifestyle/sex/news/a47378/non-binary-gender-coming-out/

4.https://www.buzzfeed.com/lauriepenny/how-to-be-a-genderqueer-feminist?utm_term=.shYBLOrwW#.shYBLOrwW

5.https://aeon.co/essays/the-idea-that-gender-is-a-spectrum-is-a-new-gender-prison

6.http://www.thegloss.com/beauty/bulimia-health-bad-624/

7.https://www.buzzfeed.com/lauriepenny/how-to-be-a-genderqueer-feminist?utm_term=.miBr9z5E0#.wtpJMopaR

8.https://glosswatch.com/2016/04/18/announcement/

Lien vers l’article originel en anglais :

http://www.feministcurrent.com/2016/08/10/coming-non-binary-throws-women-bus/

Queer Straits

Re-posting anyway…

Ceci est une traduction non-professionnelle, faite par mes soins, de l’article de Julia Parnaby, « Queer Straits » (le mot straits » désigne ici « un embarras » et est très certainement un jeu de mot sur straight). Cet article est paru dans le Trouble & Strife Reader (2010), une compilation du magazine féministe matérialiste anglophone du même nom. L’article date de 1993, j’en ai eu connaissance par la mention qu’en fait feu Nicole-Claude Mathieu dans le second volume de son Anatomie Politique, ouvrages que je conseille par ailleurs vivement pour quiconque est intéressé par le féminisme et le féminisme matérialiste français en particulier.

Cet article dont je partage globalement l’analyse m’a paru intéressant, en particulier du fait de son âge (20 ans maintenant) et parce qu’en la matière, le monde anglo-saxon a eu de l’avance sur nous. Les questionnements qui peuvent nous agiter ont en grande partie déjà eu lieu outre-manche et outre-atlantique, en particulier sur l’influence du post-modernisme sur le féminisme. Je pense bien sûr que les critiques de Parnaby sur le mouvement Queer ne peuvent pas être appliquées exactement sur ces avatars français, néanmoins ce papier reste pertinent pour analyser des traits profonds de ce mouvement appartenant à la « Troisième Vague ». De par son origine anglo-saxonne, de nombreux points, en particulier concernant l’aspect libéral, ne peuvent être retirés du Queer et on peut donc faire le lien entre ce qui est discuté ici et des situations locales.

Cette traduction correspond au pages 96-103 du T&S Reader. Une version pdf est disponible sur grassrootsfeminism.net, l’article aux pages 106-113 du dit pdf.

Queer Straits (J. Parnaby)

Voici une citation provenant de Lesbians Talk Queer Notions ( »Des lesbiennes parlent de notions queer »), ouvrage dans lequel Cherry Smyth avance que le nouveau mouvement ‘radical’ Queer a amené une transformation des politiques lesbiennes :

« Cela fut une longue bataille que de réclamer le droit d’appeler mon con, mon con, que de célébrer le plaisir d’objectifier un autre corps, que de baiser des femmes et aussi d’admettre que j’aimais les hommes et que j’avais besoin de leur aide. C’est cela qu’est le Queer. »

Smyth avance que le Queer a grandi aux États-Unis, à partir de l’activisme autour de la crise du sida, ainsi que d’une insatisfaction dans la manière dont les lesbiennes et les hommes gays ont auparavant travaillé autour des problèmes de sexualité et d’homophobie. Sans surprise, le Queer a été rapide à mettre pied en Grande-Bretagne, où l’ordre du jour est si souvent mis en place à partir de ce qui se passe outre-atlantique. L’activisme Queer est centré autour d’actions qui rendent les gays et (prétendument) les lesbiennes plus visibles dans la société hétéro. Outrage est le plus visible de ces groupes et iels ont employé de nombreuses tactiques  »choquantes », comme mettre en scène des mariages lesbiens et gays en masse, des kiss-ins, qui sont mis en place pour montrer les manières dont les lesbiennes et les gays d’être exclu-e-s du système légal britannique.

D’autres aspects de l’activisme Queer ont été présentés comme étant d’une certaine manière plus menaçant pour l’hétérosexualité et le courant gay  »mainstream ». […] [Des groupes comme le] FROCS (Faggots Rooting Out Closeted Sexuality) ont planifié un faux outing de masse, perturbant jusqu’aux queers, en alléchant la presse homophobe par une révélation sur de nombreu-ses-x lesbiennes et gays, pour finir par les laisser l’écume aux lèvres avec un simple message acide sur l’homophobie et certainement pas une liste de noms de célébrités ; cette action a été célébrée comme un triomphe de la tactique Queer.

Ce qui est cependant clair en lisant  »Queer Notions », c’est que l’attitude du  »dans vos gueules les radicaux/ales », qui est présentée comme une caractéristique prodigieuse, a au final, bien plus à voir avec le bon vieux libéralisme. Les tactiques  »choquantes » du Queer ne constituent guère qu’une demande d’être inclus dans la société hétéro, plus qu’une injonction à ce que nous la changions. Le Queer exige que les lesbiennes et les gays soient autorisé-e-s elleux aussi à se marier, sans pour autant questionner la validité de l’institution (du mariage) dans son ensemble. Il semble clair à la lumière du ressac à propos du féminisme (et aussi du socialisme), que le Queer en tant que style de vie a trouvé une audience.

Se réapproprier le terme  »Queer » ?

Pourquoi ce terme de  »queer » ? Queer – une vieille insulte homophobe – a été  »repris » nous dit-on, comme une manière de nous rappeler comment nous sommes vu-e-s dans la société hétérosexuelle. Smyth cite Joan Nestle, une avocate du rapport butch/fem, qui dit :

« J’ai besoin de me souvenir ce que c’était que de se battre pour un espace dédiée à la sexualité du temps de McCarthy… de garder en mémoire que dans les années 40, les docteurs mesuraient nos clitoris et nos tétons pour prouver l’étrangeté biologique des lesbiennes »

Recycler des termes haineux a toujours été une méthode employée dans le passé par certaines féministes, pour nos propres usages et pour nous aider à illustrer nos arguments. Trouble & Strife (la revue dont est tirée l’article, ndt) l’a fait par exemple. Cependant, cela n’a pas été fait avec la croyance simpliste qu’ainsi nous avions le pouvoir de redéfinir le terme dans un contexte plus large, ou en effet d’en enlever les caractères misogynes. En faisant cela, les féministes ne voulaient pas non plus permettre aux hommes de continuer à utiliser de tels termes. L’idée de se réapproprier  »Queer » comme appellation, est basée sur la présomption que le simple fait de le reprendre lui enlève son pouvoir homophobe, que cela retourne le mot contre les oppresseurs plutôt que sur l’opprimé. C’est une conséquence directe des arguments post-structuralistes à propos du langage, qui prétendent que les sens des mots sont constamment redéfinis chaque fois qu’ils sont utilisés par des individus et que nous pouvons, de fait, faire dire aux mots ce que nous voulons qu’ils disent. Clairement, de tels arguments retirent le langage de son contexte tant historique que social. Dans la société hétérosexiste,  »queer » ne peut pas ne pas être blessant, tout comme dans une société de suprématisme blanc, les insultes racistes ne sont que des expressions de haine ; des mots comme  »salope » reflètent, eux, la misogynie patriarcale.

Un mouvement mixte

 »Queer » est aussi un mot très spécifique. Ce n’est pas qu’un terme agressif mais aussi plus spécifiquement un terme dirigé envers les hommes. Le Queer révèle ses origines provenant des politiques masculines ne serait-ce que par son nom, malgré les tentatives de Smyth de prétendre le contraire ; son livre échoue à convaincre que le Queer ait toujours pu et voulu inclure les femmes et leurs problèmes spécifiques. Le Queer, tout comme les autres tentatives de mouvements mixtes, a été submergé d’accusations de sexisme. Les tentatives de créer une frange lesbienne dans le groupe Outrage – LABIA (Lesbians Answer Back in Anger) – ont échoué. En effet, le peu de lesbiennes membres d’Outrage restantes ont dû continuellement crier pour se faire entendre et ont également dû, à de nombreuses reprises, rappeler leur existence à la presse gay ; après des rapports soulignant l’exaspération vis-à-vis de la misogynie d’Outrage, toutes les femmes en sont parties.

Le féminisme radical a depuis longtemps reconnu les contradictions qui émergent dans les mouvements mixtes. Le Queer cependant, essaie de faire croire aux lesbiennes qu’il est dans leur intérêt de s’allier avec des hommes gays. Ce qui n’est pas compris, c’est la manière dont le Patriarcat fonctionne pour opprimer les lesbiennes. En partant du faux principe que les lesbiennes et les hommes gays ont des intérêts identiques, le Queer vise à créer un espace où les femmes et les hommes travaillent ensemble pour livrer des batailles au profit des hommes. Une des exigences majeures d’Outrage par exemple, fut la modification de l’âge au consentement. Clairement ce problème n’affecte pas les lesbiennes, le Queer essaie néanmoins de convaincre les femmes de rejoindre un mouvement basé uniquement sur les soucis des hommes. Le Queer n’est pas une tentative de remettre en cause les bases mêmes de la société hétéro-patriarcale dans laquelle nous vivons, mais plutôt une campagne pour des réformes libérales visant à augmenter les  »droits » de la minorité la plus visible. Pour que les lesbiennes soient réellement libérées de l’oppression, il est crucial que nous nous engagions dans une lutte pour des changements bien plus fondamentaux.

Une alternative au féminisme ?

 »Queer Notions » essaie toutefois de présenter le Queer comme une attirante alternative au féminisme dans un âge post-féministe. Le féminisme, plaçant l’emphase sur le combat contre le Patriarcat et l’hétérosexualité en tant qu’institutions, a échoué selon Smyth. Il a échoué parce qu’il n’a pas adressé le problème que certaines femmes aiment les relations dominant-e/dominé-e ; certaines femmes veulent être objectifiée ; et heh – là elle arrive enfin au cœur du sujet – certaines femmes veulent objectifier d’autres femmes. Que peut faire une femme, si elle veut se dire féministe, mais veut pourtant avoir le droit de faire sexuellement ce que les hommes ont toujours fait aux femmes ? Où peut-elle aller ? Cherry Smyth a la réponse : le Queer.

« L’attraction que le Queer provoque chez certaines lesbiennes est alimenté par la rébellion contre un féminisme prescriptif qui les a amené à se sentir mises sur la touche par le mouvement féministe lesbien »

Le féminisme lesbien, semble-t-il, a mis à l’écart certaines lesbiennes par son analyse même de l’hétérosexualité comme institution et en posant les hommes comme une classe oppressant les femmes. Qu’en est il des femmes qui veulent aussi être baisées par des hommes ? Qu’en est il des femmes qui veulent agir comme des hommes ? Et bien le Queer a aussi une place pour elles en argumentant qu’il est possible d’avoir des relations sexuelles avec un homme et de continuer à s’appeler une lesbienne. Le point central semble être le pouvoir de se nommer soi-même (dans la plus pure veine postmoderniste) :

« … il y a des moments où les queers peuvent choisir de se dire hétérosexuel-le-s, bisexuel-le-s, lesbiennes ou gays ou bien encore rien de tout cela. Si le Queer se développe comme une opposition stricte à l’hétérosexualité, alors il aura trahi son potentiel à un pluralisme radical ».

L’on peut être queer, peu importe ce que l’on fait, du moment que l’on choisit d’être connu-e comme tel-le. Le concept a en fait très peu à voir avec la sexualité lesbienne ou gay. Comme Smyth le montre clairement, le Queer, c’est briser la « stricte et binaire opposition homo/hétéro qui tyrannise encore nos notions d’orientation sexuelles ».

Un des aspects les plus bizarres des politiques Queer – et qui permet à ces lesbiennes mises sur la touche, qui veulent faire ce que les hommes font, sans se sentir coupable – c’est l’emphase sur l’importance du  »gender-fuck », un concept énoncé par la pornographe Del Lagrace. Gender-fuck signifie  »jouer » avec le genre et a permis de produire des  »garçons-lesbiennes » et des  »pères-gouines » – une imitation directe par des femmes de la sexualité gay (masculine). De fait, le lesbianisme devient une piètre copie de l’homosexualité masculine.

« Durant les deux dernières années, les lesbiennes ont discuté de leurs réactions érotiques à la pornographie gay et ont incorporé l’iconographie masculine gay dans leurs fantasmes, jeux sexuels et représentations culturelles. »

Il n’y a ici aucun désir pour les femmes, mais plutôt une vénération du pénis, surpassée seulement par celle de nombreux hommes gays. ‘Chick with a dick‘ (nana avec une bite) est le slogan et l’image le plus communément utilisé. Pour Smyth et ses comparses, c’est là le sommet de la  »Queerité ».

« La photo de Del Lagrace, Lesbian Cock, présente deux lesbiennes habillées de cuir et de couvre-chef de motards, moustachues, l’une d’entre elle tenant un godemiché émergeant de son entrejambe. Dans cette délicieuse parodie du pouvoir phallique, entrelacé dans un désir que peu de féministes se sentent de reconnaître, ces femmes sont suffisamment fortes pour montrer qu’elles sont des femmes. »

Cette théorie marche directement dans la lignée des arguments homophobes et freudien que toutes les femmes sont délirantes de l’envie de pénis et que la sexualité lesbienne ne peut exister sans substitut phallique. Ce qui est bien sûr un mensonge.

Transgression ou régression

Peut-être sans surprise, la conclusion logique des politiques Queer est un retour vers l’hétérosexualité. La déification des hommes gays a atteint un tel sommet que l’ultime expérience pour les queers fut le sexe entre des ‘lesbiennes’ et des ‘hommes gays’. C’est encore et toujours plus de  »gender-fuck », baignant dans ce qui est vu comme salace et non-conventionnel, mais qu’est-ce qui pourrait être plus ennuyant que des hommes couchant avec des femmes !

Le jeu autour du duo butch-fem et autour des rôles genrés en revanche n’est pas un amusement. Smyth essaie de présenter un hommage à son  »féminisme » en mettant en avant que

« quand des lesbiennes ont un comportement perçu comme macho et battent leur fem ou leur garçon-lesbienne au nom de la transgression, c’est juste de la bonne vieille merde réactionnaire. »

Ce qui n’est pas de la « merde réactionnaire », croit Smyth, c’est si le/a partenaire  »consent » à l’abus. Le consentement est un des sujets majeurs de la posture queer, mais il n’y a aucune compréhension de la manière dont le consentement peut ou peut ne pas fonctionner dans une société hétéro-patriarcale. Si une personne accule son ou sa partenaire, alors il arrive que ce/tte dernier-ère donne son  »consentement ». Il peut aussi arriver qu’un-e individu-e soit poussé-e dans une situation où son partenaire oppressant peut facilement prétendre l’avoir frappé-e et ligoté-e avec son consentement. Smyth ne peut pas dire que certaines scènes d’abus sont OK si les deux partenaires ont  »consentis » et que d’autres sont abusives. Il est clair que toute situation d’inégalité de pouvoir est oppressive et doit être questionnée et remise en cause, certainement pas célébrée comme une part de la libération Queer.

Le Queer représente une attaque violente et sans pitié sur les femmes qui se sont élevées et ont parlé de cas d’abus et de dégradation. Dans le Queer, la sexualité est explicitement tournée autour de jeux de pouvoir. Tandis que des féministes lesbiennes ont questionné l’idée que le sexe est nécessairement en rapport avec la domination et la subordination, le Queer choisit de célébrer et de déifier ces comportements. C’est un retour au vieil argument selon lequel ce que deux adultes consentants font dans leur vie privée est OK – ou plutôt, c’est encore mieux lorsqu’ils le font en public en gueulant  »Fuck you ! ». Les politiques Queer sont l’apothéose de la rébellion adolescente – c’est aussi salace que nous le voulons et vous ne pouvez nous arrêtez.

L’hystérie autour du soi-disant  »politiquement correct » est une bonne partie de ce que Smyth a gobé. Le Queer prétend mettre en cause la prétendue censure féministe vis-à-vis du droit individuel de faire ce que l’on aime faire, à tout moment opportun. Quiconque a été dans des groupes actifs de féministes radicales sait de manière douloureuse que le féminisme n’a jamais eu la main et une influence sur une quelconque part de la société hétéro-patriarcale ; prétendre que nous sommes une puissante majorité niant aux libertariens la possibilité de baiser qui que ce soit de la manière qu’iels veulent est particulièrement incroyable. Le Queer cependant, procure un puissant moyen d’expression pour la communauté libertarienne, qui dit  »nous faisons ce que nous voulons sans votre permission » ; dans la  »nouvelle » politique lesbienne et gay, si vous n’êtes pas Queer, vous n’avez aucune crédibilité et vous pourriez tout aussi bien ne pas exister.

Le Queer est un mouvement profondément conservateur. Il dit que rien ne peut changer, que nous devrions arrêter de croire que nous avons le pouvoir de changer. Il nous faut accepter la permanence et l’infaillibilité de notre situation, ne pas prétendre que le monde peut changer. Pour Smyth, le mieux que nous puissions espérer est une réforme parlementaire. Pour elle, le problème brûlant est :

« Avec sa posture anti-assimilationiste, le Queer peut-il aider à permettre une réforme constitutionnelle en Grande-Bretagne ? »

Dans le monde Queer, on apprend que le pouvoir est et qu’il n’y a pas d’alternative. Les individu-e-s devraient juste choisir de quel côté du pouvoir iels sont et continuer à le performer. Cela, le Queer nous dit, est ce que les lesbiennes et les gays ont toujours voulu, certainement pas l’idée que combattre l’hétérosexisme puisse aussi dire combattre les manières que nous avons d’opprimer les personnes dans notre propre vie. Le principe féministe de base disant que  »Le Privé est Politique » ne serait rien de plus qu’un slogan oppressif niant le droits des gens de choisir la manière dont iels veulent avoir du sexe, et même de les culpabiliser vis-à-vis de leurs désirs.

En choisissant son nom de  »Queer », le mouvement révèle son orientation. Il échoue à reconnaître la réalité du monde matériel dans lequel nous vivons et le fait que ni les lesbiennes ni les gays ne vivent dans le vide de l’éther.  »Queer » reste un terme blessant pour un groupe opprimé et, en tant que tel, ne peut être la base d’une action politique pour en finir avec l’homophobie. Ce que le Queer semble oublier, c’est que nous savons qu’il y a toujours eu une haine et une oppression des lesbiennes et des hommes gays et nous savons qu’elles continuent encore maintenant. Nous n’avons pas besoin de nous rappeler nous-mêmes le langage de l’oppresseur. La Révolution demande plus que cela.

Le Queer et le ressac.

Le Queer a très certainement trouvé sa niche et le mouvement est montant, mais les féministes lesbiennes devraient être très circonspectes vis-à-vis d’un système de pensée qui échoue à reconnaître le rôle que le Patriarcat joue lorsqu’il nous opprime et qui semble rejeter l’argumentaire féministe en son entier. Le Queer échoue à réfléchir sérieusement aux manières avec lesquelles les hommes oppressent les femmes et aussi longtemps qu’il sera un mouvement dirigé par des hommes, il n’y aura jamais aucune considération donnée aux problèmes spécifiques des femmes.
Cherry Smyth essaie de son mieux de montrer que le Queer peut plaire au femmes, mais elle échoue à convaincre. Le Queer est loin d’être le mouvement révolutionnaire qu’elle voudrait qu’il soit, il n’est guère plus qu’une alliance entre libéraux et libertariens. Il représente la conclusion logique du  »postisme » (postmodernisme,  »postféminisme », post-structuralisme). Le post-structuralisme suggère qu’il n’y a plus de catégories claires de genre : les filles seront des garçons, les garçons, des filles ; le post-féminisme suggère qu’il n’y a pas de contradictions à ce que des  »féministes » travaillent pour un mouvement dirigé par des hommes, visant des buts définis par des hommes. Nous savons toutefois que tel ne sera pas le cas. Le Queer ne nous offre strictement rien. Ce n’est encore qu’une face du ressac essayant de passer comme quelque chose de nouveau. Nous ne serons pas crédules !

(tout extrait vient de Cherry Smyth (1992), Lesbians talk Queer Notions, Londres, Sheba)

Vanité

Récemment est décédée l’auteure dont les écrits furent en quelques sortes les premiers livres féministes que je lus (en quelques sortes parce que ce sont les premiers que j’ai lu spécifiquement parce qu’ils étaient féministes). Et comme certain-e-s s’en seront douté-e-s il s’agit de Benoîte Groult et  »Ainsi soit-elle ». J’ai depuis parcouru de nombreux autres livres et sources féministes et on peut dire que mes idées ont plus ou moins divergé des préoccupations que développe Groult dans cet ouvrage, néanmoins il reste pour moi une excellente porte d’entrée au féminisme, mélangeant sérieux et légèreté, sans avoir le caractère ardu de certains excellents, mais parfois rebutant textes académiques.

Benoîte Groult est un cas singulier d’engagement politique sur le tard, en effet, né en 1920, elle a plus de 50 ans lorsque la ‘deuxième vague féministe’ débute en France. Preuve en est qu’il n’est jamais trop tard et que l’on est jamais trop vie-ux-ille

J’ai eu la chance de la voir et de l’entendre en personne, il y a quelques années lors d’un colloque consacré à sa vie et à son œuvre littéraire, qui ne se limite pas aux sujets féministes, ce alors qu’elle avait 95 ans. Il n’est pas rare d’être déçu lors de telle rencontre, la personne n’étant parfois pas perçu comme  »à la hauteur » de ses écrits, ou divergent de ceux-ci ; ce qui est sûr c’est que ce ne fut certainement pas le cas avec Benoîte Groult, dont le discours me replongea dans ses écrits, dont la lecture commençait à dater de quelques années alors. J’en garderais par cette unique rencontre l’image d’une femme certes fatiguée par l’âge mais toujours droite dans ses bottes et sûre de ses convictions, les énonçant clairement sans dévier d’un féminisme qu’elle a embrassé sur le tard certes (et qu’existait-il alors ?) mais avec pas moins de force que les jeunes femmes de l’époque.
Je sais qu’il est aisé de la décrire comme une figure d’une sorte de gauche-caviar, membre d’un féminisme blanc-bourgeois, ce qui n’est à certains égards peut-être pas entièrement faux. Pour ma part je me souviendrais d’elle décrivant les traitements lui ayant été infligés lors de sa jeunesse, paroles qui firent bondir de leurs sièges les femmes de l’assemblée (et moi avec elles pour le coup), traitements que beaucoup jureraient d’un autre âge (battue pour avoir parlé p-e), pourtant elle était là à nous les raconter. Je me souviendrais aussi de la manière banale, évidente, avec laquelle elle évoqua ses multiples avortements, dont certains qu’elle fit elle-même et seule, témoignant d’une résolution qu’on pourrait penser inhabituelle, mais qui semblait être selon elle le lot commun nécessaire des femmes de son époque, quelle que soit leur classe sociale.

Une grande femme en tout cas, pendant toute sa vie, et la voilà déjà partie…

Point de Consentement

Petit article qui est devenu grand dont le but était d’écrire quelques points sur la notion de consentement et en fait essentiellement sur les limites pratiques et politiques de la dite notion.

Il en est fait beaucoup de cas de ce fameux consentement, à raison d’ailleurs, il n’est pas vraiment ici question de nier son importance et sa nécessité. Le point principal, je pense, c’est bien que si la notion de consentement est nécessaire et est un point qui ne peut pas être outrepassé, en tant que telle elle n’est pas suffisante. Le consentement c’est un début mais certainement pas une fin, parce qu’en tant que tel il laisse beaucoup de choses de côté. Je vais essayer de mettre en avant certains écueils plus ou moins visibles à la notion de consentement, sans forcément que cela remette en cause son utilité. Il va, presque de soi, que la discussion du consentement sous-entend quasi-toujours le consentement vis à vis de la sexualité.

Tout d’abord, une chose qui devrait être évidente c’est que le consentement n’est pas en tant que tel l’expression d’un désir propre, mais plutôt la réaction affirmative à un désir autre. Que la personne consentante désire ce désir au préalable, ne remet pas en cause le caractère certes pas tout à fait passif du consentement, mais au moins  »d’attente ». Étant donné que la bonne vieille dynamique genrée et sexiste du  »masculin actif » et du  »féminin passif » est encore très opérante, on ne peut pas ne pas remarquer que c’est logiquement majoritairement les femmes qui consentent aux désirs des hommes, à l’instant où ces derniers le requièrent. Dans la logique patriarcale actuelle, le consentement est genré. Les discours qui l’entourent ne s’y trompent généralement pas puisque c’est bien aux femmes et aux filles que l’on rappelle l’importance de définir ce à quoi elles veulent consentir, comment affirmer son consentement, etc. et en parallèle c’est bien aux hommes et aux garçons que l’on rappelle qu’il est indispensable de rechercher le consentement de ses partenaires, que le consentement ne va jamais de soi mais doit toujours être affirmé, etc. De cette manière, les dynamiques sexuelle et genrée restent non chamboulées et l’on a toujours globalement les hommes comme parties demandant et désirant et les femmes comme parties consentantes et de fait, en charge de gérer le compromis. C’est bien parce qu’il y a un antécédent de dynamique genrée que la situation est ainsi, néanmoins il est alors nécessaire de ne pas s’arrêter à la notion seule de consentement, qui si elle est indispensable, est plus une manière de tendre vers un statu-quo de compromission, qu’une évolution des rapports sexuels.

Le consentement est, tel que je le voie, toujours une certaine partie de compromis pour la personne qui consent. Par définition, elle ne consent qu’à ce qui lui est proposé. Ce qui est réduit, ce sont donc les possibilités non seulement de réponses (oui/non de manière basique) mais aussi l’expression d’un désir propre (enfin, pas dans le même temps en tout cas). On répond toujours d’abord à la manifestation d’un désir autre, d’une manière positive et négative. Consentir, c’est donc s’engager dans la résolution d’un désir autre en subordonnant son propre désir, ses propres envies, au moins pour l’instant donné.

Il va de soi que dans la pratique, les choses sont rarement sinon jamais aussi froides que cette énonciation qui ressemble plus à un calcul d’apothicaire qu’à une relation humaine. Néanmoins cela n’empêche que le consentement, parce qu’il est avant tout une réponse, n’est pas intégralement un outil libérateur s’il n’est accompagné, en parallèle, de la capacité d’exprimer son propre désir et de pousser les autres à consentir. Le potentiel du consentement en tant qu’outil politique n’est donc achevée que lorsque l’on a la capacité mentale, économique, sociale, psychologique et j’en passe, de pouvoir consentir l’esprit libéré, mais également lorsqu’on a la capacité de faire consentir. Consentir et amener à consentir sont deux faces d’une même médaille, le consentement n’a pas la même valeur venant d’une personne qui jamais n’amène elle à consentir.

Se concentrer non seulement sur le consentement, mais surtout sur la dimension genrée du consentement est insuffisant et j’aurais presque tendance à dire dommageable. Si l’on n’apprend aux filles qu’à consentir et en quoi le consentement doit toujours venir d’elles, si l’on apprend aux garçons qu’il faut toujours demander le consentement, ceci sans jamais mettre en lumière que les garçons aussi peuvent consentir, accepter des choses venant de leurs partenaires et aux filles à exprimer et faire valoir leurs propres désirs, on ne remet pas en cause et on risque même de renforcer en la sous-entendant, la valeur de la dynamique genrée du rapport sexuel. Il n’est pas question ici de pointer du doigt qui que ce soit, je ne fais pas ces remarques en pensant particulièrement à un article ou un discours en particulier. Il s’agit simplement de relever des écueils possibles dans lequel on peut s’engager en se concentrant sur le consentement des femmes seulement.

Un des autres problèmes qui transparaît assez souvent dans les discours qui se construisent avant tout autour du consentement comme enjeu de pouvoir, c’est justement de déplacer le pouvoir et de ne pas reconnaître le poids de la domination systémique qui a lieu dans les relations entre hommes et femmes et donc, dans la question du consentement. La problématique du consentement est moins une question de  »il faut avoir le pouvoir de consentir » que de  »il y a une domination patriarcale des hommes sur les femmes ». Cette domination nuance cruellement le consentement parce qu’il s’opère toujours (pour l’instant du moins) dans un système qui fait que les hommes et les femmes ne sont pas égaux. Une femme qui consent à un homme n’est donc pas la même situation, d’un point de vue matériel et politique à l’inverse, un homme consentant à une femme. La perspective du faire consentir est donc elle-même incomplète car existante dans un système qui fait que toutes les interactions sexuées sont marquées du spectre de la domination patriarcale. Les femmes qui consentent ne consentent pas à la même chose que les hommes consentant. C’est pour cela par exemple qu’il n’y a pas d’hypothétique appropriation par les femmes de la charge sexuelle, qui les rendent ensuite possédantes du  »capital sexuel », pouvant ensuite le distribuer a qui elles le veulent. Tout d’abord parce que dans le système patriarcal, la relation sexuelle n’a pas le même sens, les mêmes enjeux, les mêmes présupposés, les mêmes charges morales et sociales que l’on soit un homme ou une femme, aussi et entre autres par le fait que les femmes vivent avec le spectre du viol, ce que les hommes n’ont pas. Au delà de ça, la réalité biologique induit que les femmes ne peuvent pas considérer la relation sexuelle de la même façon que les hommes. Même si la contraception moderne et l’avortement ont globalement changé cela : la réalité reste présente, l’inquiétude s’est juste déplacé et est devenu peut-être potentiellement moins prégnante (on est passé du bien plus possible  »je pourrais être enceinte » au relativement moins probable  »la contraception pourrait échouer », l’inquiétude n’a pas intégralement disparue et la place du poids de l’inquiétude, n’a pas du tout changé).

La possibilité mentale et matérielle au consentement est donc clairement influencée par le Patriarcat : on ne consent pas de n’importe où et comme il a été répété de nombreuses fois, les actes personnels ne sont pas moins marqués d’un poids social que tout autre acte. Le consentement n’est pas donné dans une bulle de vide, mais dans un système qui fait que les classes de genre sont inégales et que cette inégalité est renforcée et existe à la fois dans une privation mentale et matérielle de possibilités d’agir pour les femmes. Le fait sexuel est l’enjeu de manipulation est de dissimulation (les connaissances sur la sexualité féminine étant nettement moins partagées et jugées comme pertinentes dans la sexualité en générale, qui reste globalement phallo- et andro-centrée). C’est aussi parce que le consentement existe dans un système ou la sexualité et en particulier la sexualité vécue par les femmes est pratiquée à l’aune d’une extrême violence commise par les hommes. Les hommes se sont appropriés la sexualité féminine et continuent de le faire non seulement par un emprisonnement matériel et mental mais aussi par le simple exercice de la force et de la contrainte. Le consentement qui est en quelque sorte le miroir positif de la contrainte existe toujours dans la connaissance du spectre de cette contrainte. Consentir et surtout refuser de consentir, c’est toujours agir en connaissant la possibilité plus ou moins importante d’un exercice de contrainte en réponse à se refus de consentement. Pire encore, la contrainte sexuelle (sous toutes ses formes) existe indépendamment du consentement, au gré des désirs des agresseurs. Consentir n’est donc jamais un acte qui est lui-même dénué de contraintes, ceci parce qu’il prend place dans un système patriarcal qui par essence est contraignant.

Un autre problème naissant qui est parallèle à la question  »A quoi consent-on » est logiquement, comment détecter est déceler la nature normative du désir et donc le court-circuitage à la base de l’idée de consentement par l’intersection des désirs masculins dans la création de désirs féminins. La sexualité n’est pas un exercice de pensée et d’agir libre, ce comme tout activité sociale. L’expression de la sexualité n’est jamais libre et débarrassée d’injonctions et de représentations sociétales, d’expériences autres. Parce que l’on vit dans un univers patriarcal, il devient nécessaire de se demander : si la pensée andro-centrée infiltre toute sphère du vécu et tente de s’implanter comme le commun et la pensée par défaut, comment faire pour que l’expression et la réponse féminine au désir masculin, ie le consentement des femmes, ne soient pas lui-même modifié et travaillé par des désirs non seulement autres mais parfois antagonistes. Comment faire pour que les femmes ne désirent pas ce que les hommes désirent et donc, consentent à ce qu’elles désirent aussi librement que possible et pas à ce que les hommes désirent ?

Si en effet les femmes consentent aux désirs masculins par dépit ou défaut, c’est déjà un dévoiement substantiel de la valeur de leurs consentements. Mais pire en un sens que cela, pire parce que dissimulé, un autre dévoiement du consentement, c’est que les désirs des femmes s’alignent sur les désirs normatifs de la société, désirs sociétaux qui sont eux-mêmes andro-centrés parce que la société est patriarcale. Dans ce cas là, il serait résolument impossible pour les femmes de consentir librement parce qu’à la base même de leur pensée et de leur conception de la sexualité est quelque chose qui ne leur appartient pas et surtout qui a été mis là par des hommes qui n’ont pas les mêmes désirs et objectifs qu’elles. Les femmes qui consentent aux désirs des hommes par substitution de leurs propres désirs en désirs masculins, par force d’éducation patriarcale et/ou d’oppression sont donc condamnées dans leurs pensées mêmes à ne pouvoir trouver de porte de sortie. Le consentement devient donc un butoir plus que l’expression libératrice (autant que cela se peut) d’une personnalité pleinement consciente de tous les enjeux attachés à la sexualité dans un univers patriarcal.

Le consentement n’étant pas l’expression d’un désir mais la réponse à un désir tout autant que la tentative d’un alignement du désir propre sur un désir autre, la dépossession mentale et matériel de la capacité d’un désir propre rend le consentement chimérique, le consentement est dans ce cas un mirage.

Dernier point mais point des moindres, on remarque depuis plusieurs années, que l’accentuation du discours sur le consentement est effectif puisqu’il a produit la transformation du discours d’exonération des agresseurs lui-même, sans que cela soit en tant que tel une bonne nouvelle. Autrefois, l’exonération de l’agresseur était généralement justifiée du fait du manque de moralité de la victime. Une action immorale commise sur une personne elle-même immorale n’avait ainsi pas valeur de crime. C’est pour cela par exemple qu’on ne pouvait pas, dans ce cadre de pensée, agresser sexuellement une prostituée, puisque sa condition de vie était elle-même immorale, l’immoralité de son existence devient fait de sa nature même et on ne peut condamner quelqu’un qui a agit de manière  »naturelle » envers elle.

Avec l’évolution de l’accès aux droits civiques des femmes et du fait des succès du féminisme vis à vis de la dénonciation du viol en tant que crime et malgré que ce combat soit encore d’actualité, la mise à nue de la vie morale de la victime est de plus en plus rarement un argument ou tout du moins, de plus en plus rarement un argument effectif pour dédouaner l’agresseur. Qu’une femme soit adultère ne l’empêche plus d’être une victime  »légitime » de viol. On voit donc l’émergence d’une nouvelle ligne de défense à base du  »elle avait consenti » ou  »de toute façon on ne pouvait tout deux pas consentir, les deux parties sont donc en quelque sorte à la fois victimes et coupables et donc le jugement n’a pas lieu d’être ». Je pense qu’il est bien sûr absurde de penser que par l’expression de cette défense, on puisse penser que les hommes sont réellement conscients de l’impérieuse nécessité du consentement de leur partenaire, mais bien plutôt que contrairement à ce que l’on pourrait croire, les hommes sont en fait très sensibles aux thèses féministes, si ce n’est qu’ils y cherchent bien souvent plus une manière de les contourner plutôt que d’y chercher une manière de modifier leur propres comportements. Il y a donc une certaine forme de succès de la rhétorique du consentement, succès de diffusion et surtout, succès qui marque l’importance de cette dite rhétorique. Néanmoins, on voit qu’elle peut tout à fait servir à excuser les agresseurs plutôt qu’à les définir et à les condamner. C’est je pense en partie par non réalisation du caractère systématiquement inégalitaire des relations hommes-femmes et en particulier des relations sexuelles qui font que ce dévoiement de la notion politique de consentement est possible. Ce n’est que dans un monde où l’on pense l’égalité atteinte et l’inexistence du Patriarcat que cette défense est non seulement possible mais aussi utilisée pour défendre ceux-mêmes qui sont en position de domination. Ce sont ainsi les outils politiques des dominées qui sont utilisés contre elles pour maintenir l’assise de la domination sexuelle. Il est malaisé de dire si ce sont les incertitudes et le manque de justesse de la notion de consentement, la manière dont elle est utilisé auprès des femmes ou tout simplement la puissance même du Patriarcat qui permettent ce retournement et il paraît absurde de trancher pour l’un ou l’autre. Il est est néanmoins visible à travers cet exemple que les politiques des dominé-e-s ne leur appartiennent pas en propre et que parfois, tout comme le capitalisme, le Patriarcat ne prend pas le train en marche, il se contente de le racheter…

La Politique de la Stupidité

Petit point sur un aspect de l’oppression qui a été discuté dans de nombreux ouvrages mais j’estime qu’il n’y a pas de mal à répéter une information pertinente.

Une explication partielle qui est souvent donnée à la perpétuation de l’oppression, c’est la non-connaissance de la réalité de cette oppression. Les oppresseurs se rendent certainement compte des choses graves (meurtres racistes, viols), mais bien moins de toutes les petites remarques, attitudes qui cimentent une oppression dans les corps et les esprits des personnes opprimées. Il serait donc tentant d’excuser cela, parce qu’après tout, une personne ignorante ne peut être tout à fait coupable n’est-ce pas ? Pour commencer, l’ignorance n’est pas une excuse, faire un commentaire oppressif c’est bien…  »faire un commentaire oppressif », l’effet sur la victime est le même que l’on sache l’effet profond qu’a ce commentaire ou pas. Le degré de connaissance de l’oppresseur n’a donc pas ou peu d’influence sur la manière dont la victime va recevoir le commentaire. C’est aussi oublié que  »ne pas savoir / se rendre compte » est un privilège, c’est quelque chose qui est la marque d’appartenance à une catégorie non-opprimée. C’est un luxe de ne pas se rendre compte que les choses vont mal, c’est ce qui garantie une certaine insouciance et liberté d’esprit. Le manque de connaissance est donc une très mauvaise argumentation, parce que cela ne fait que relever d’un manque d’empathie, un manque de volonté à comprendre, une non prise en compte du problème. Ne pas savoir c’est justement faire partie du problème,  »la barricade n’a que deux côtés dit-on », à cet égard ne pas savoir qu’il y a une barricade ne signifie pas que l’on n’est pas d’un côté ou de l’autre. Et l’oppression consiste justement à masquer la connaissance de ce conflit. Lorsqu’une personne alliée dit par exemple  »je n’y fait pas attention » ou  »je ne fais pas ça, j’avais même pas remarqué que mes semblables le faisait », c’est bien plus une démonstration de privilège que d’empathie. Pour exemple, les hommes qui ne harcèlent pas les femmes dans la rue sont bien souvent également ceux qui ne remarquent pas que les femmes sont harcelées. Pour eux, la situation n’existe pas matériellement, elle n’est pas un problème. En ignorant la réalité de la chose, ils ont donc pris inconsciemment un parti, c’est certainement pour cela que beaucoup disent  »mais moi je ne suis pas comme ça ». Il est vrai qu’individuellement ils  »ne sont pas comme ça », mais cela ne remet rien en cause d’un point de vue global, leur silence et leur crédulité sont même ce qui permet en partie à l’oppression de continuer. Desmond Tutu disait que ne rien faire, c’est choisir inconsciemment et de facto le camp du plus fort et donc de l’oppresseur et c’est bien dit.

L’oppression continue parce que les oppresseurs ne savent pas ce que coûte l’oppression, ce parce que ce ne sont pas eux qui en payent le prix. Ne pas voir le problème, c’est dans ce cadre, souscrire à sa continuation.

Dans la même lignée, parmi celleux qui oppriment bel et bien et qui le font en toute connaissance de cause, est souvent amené l’idée que c’est par méchanceté gratuite ou par stupidité (quand l’on ne met pas sur le tapis des arguments psychologiques). Encore une fois, c’est selon moi largement manquer quelque chose de crucial. L’oppression n’existe pas pour le plaisir de quelquesuns, elle existe parce qu’elle produit quelque chose. Ne voir en elle qu’un moyen de faire du mal est extrêmement puérile, l’oppression n’est pas un moyen mais une fin, un système qui génère et organise, pas une manière d’être méchant avec son prochain. Il est aisé de voir que le Capitalisme est un système de production, inégalitaire cela va de soi, mais qui produit bien quelque chose par le biais de l’oppression. Le Patriarcat de même n’existe pas pour permettre aux hommes de prendre du plaisir à faire du mal aux femmes, c’est un système qui produit bien quelque chose : le travail domestique en est une marque évidente, la gestion de la reproduction en est une autre. Non pas que la reproduction est une activité purement patriarcale, mais il est évident qu’il est (presque ?) impossible de faire des enfants sans aucune influence du Patriarcat. Les oppressions sont des systèmes et ces systèmes se perpétue pour deux raisons : des gens en profitent, cela vaut le coup. Un exemple parlant : la colonisation a longtemps rapporté des ressources, une main d’œuvre, un nouveau marché, etc… Néanmoins, dans le cas des Pays-Bas, ils se sont rendu compte que la colonisation finissait au XXe siècle à leur coûter plus qu’elle ne leur rapportait et c’est en partie ce qui les a amené à quitter leurs colonies. Il s’agit d’une approche pragmatique particulièrement abjecte mais qui montre bien que l’oppression existe avec un but, pas pour elle-même.

Tout ceci pris en compte, il est absurde de dire que le racisme est le produit de la stupidité (ou de la taille du cerveau comme le prétend un stupide t-shirt populaire mais qui tient plus des thèses évolutionnistes et colonialistes du XIXe que des mouvements de libération), il est absurde de dire que le sexisme est un produit d’actions bêtes et méchantes. L’oppresseur retire des choses de ces oppressions même lorsqu’il l’ignore et quand c’est le cas, c’est encore une fois du fait de mécanismes oppressifs, qui permettent justement d’opprimer en ayant l’esprit léger. Autre exemple, lorsqu’un homme agresse sexuellement une femme  »sans s’en rendre compte », il profite de deux aspects de l’oppression : le libre droit d’accès aux corps des femmes et la liberté d’esprit de ne pas avoir l’impression de faire du mal (ou la possibilité de penser que le consentement d’une femme n’est pas nécessaire). Infliger une souffrance sans même s’en rendre compte est justement la marque de l’oppression, c’est ainsi que l’on peut opprimer des proches, ses propres enfants, ses collègues, en tout sérénité et sans se remettre en cause. Il n’est pas question de méchanceté, c’est soit de l’ignorance socialement générée, soit la connaissance que ce genre de comportement n’est pas ou peu poursuivi dans notre société oppressive. Ce n’est pas de la stupidité, encore une fois soit l’on ne voit pas l’acte oppressif comme problématique, soit on sait le mal que l’on cause et pourquoi on le cause. Du début jusqu’à la fin, il s’agit toujours du bénéfice de l’oppression.

Puisque cela a toujours plus à voir avec le privilège qu’avec une quelconque stupidité ou pure méchanceté, il s’agit donc toujours plus de politique systémique que d’actes individualistes. Mettre l’accent sur l’ignorance, sur le  »moi je fais pas ça », sur la stupidité, voire sur la folie, c’est toujours dépolitiser l’oppression et donc la faire disparaître, puisqu’une oppression n’est jamais vraiment quelque chose d’individuelle mais toujours quelque chose de systémique et de politique. Encore une fois, jouer la carte libérale de l’individualisme, c’est finalement jouer le jeu de l’oppression.

Soyons donc moins stupides, moins ignorant-e-s et plus politisé-e-s ?

De la Guerre (des sexes)

Une affirmation entendue régulièrement, c’est celle qui dit que les féministes, par leur intraitable et incessant combat, vont finir par provoquer une  »Guerres des Sexes », ou déclencheront une scission semble-t-il irréversible entre les hommes et les femmes. Ce qui est significatif, c’est que bien souvent, les conflits entre opprimés et oppresseurs ne sont pas vus comme une chose dramatique mais au contraire parfois souhaitable, ou tout du moins dans l’ordre des choses (conflits entre patrons et salariés par exemple) ; ce n’est pourtant pas le cas avec l’argumentaire de la guerre des sexes.

Tout d’abord, ce qui, je pense, apparaît comme particulièrement scandaleux tient à deux choses. La première, c’est que la société patriarcale actuelle tient pour acquis la mixité de l’espace publique et de l’espace privé. Sensément, hommes comme femmes ne sont pas des populations séparées mais proches. Contrairement à d’autres système de domination, une des particularités du Patriarcat c’est bien la proximité géographique entre l’oppresseur et l’opprimée. Pour le cas des classes sociales, il est évident que le découpage urbain pour commencer, sépare très souvent les riches des pauvres. La répartition géographique des différentes couches de la population est directement influencé par les situations économiques. Le simple prix du loyer suffit à créer une sorte de ségrégation et de séparation, de fait. De même pour certains systèmes racistes, les blancs ont pu se mettre à l’écart des populations racisées, comme en Afrique du Sud par exemple. Mais même en France, on remarque que certains quartiers sont largement peuplés de population provenant de l’immigration, parce que c’est dans ces endroits qu’ont été dirigées les populations immigrées et parce que leur précarité économique a pu permettre de les y conduire et de les y faire rester. On pourra évidement et à loisir disserter sur les  »banlieues » qui sont construites dans l’imaginaire, mais largement aussi dans les faits et dans la construction urbaine comme des ghettos à peine déguisés et dont on parle avec complaisance, en sous-entendant que ce sont leurs habitants qui s’y barricadent de leur plein gré, alors que leur établissement même a été fait dans les années de forte immigration, pour cantonner la population immigrée hors des centres-villes et pour faciliter leur surveillance policière. Que ces populations se  »barricadent » dans les quartiers a alors le double avantage de circonscrire leur révolte à une zone facilement maîtrisable, mais aussi d’avoir le champ libre pour prétendre qu’au final, ces populations n’ont aucun désir d’intégration et recréent leurs communautés quoi qu’il arrive ; il n’est bien sûr jamais fait mention de la grande précarité économique de ces populations, qui les empêche de partir, mais aussi des mécanismes du communautarisme qui se développe du fait même des discriminations.

La différence avec le patriarcat donc, c’est que l’idée même d’une guerre des sexes, sensément ouverte, entraînerait une fracture immédiate et drastique, la guerre civile serait la seule perspective logique. Dans un conflit racial, comme il y en a eu aux Etats-Unis au début des années 90 par exemple, on peut voir se développer une mentalité guerrière du  »eux contre nous » (et ce dans les deux camps). Il y a cependant l’idée déjà présente selon laquelle les deux  »camps » (ici donc les  »races » au sens social) sont déjà séparées/séparables et opposées/opposables dans la société. Rien de tout cela dans l’oppression patriarcale. La complémentarité des sexes est toujours mise en avant, comme non seulement une nécessité, mais aussi une sorte d’heureuse contrainte. Les hommes et les femmes sont censés être faits pour vivre les uns avec les autres, mais cet impératif est bénéfique et permet aux deux sexes de s’épanouir par leur contact mutuel.

Le principal scandale donc, c’est qu’une éventuelle  »guerre des sexes » est nécessairement pensée comme une guerre civile qui découperait la société dans un impensé total. Dans les pensées racistes ou homophobes, l’absence stricte des racisées ou des non-hétérosexuels n’est pas un problème (ce serait presque plutôt une solution), on sait que même leur élimination a été envisagée à différents points de l’histoire. En revanche, l’idéologie sexiste se base largement sur la proximité des hommes et des femmes. Comme Nicole-Claude Mathieu le souligne dans le second tome de l’Anatomie Politique, les femmes sont parmi les seuls groupes dominés à ne pas avoir de culture propre et spécifique, qui ne soient pas un ersatz de la culture dominante ou inspirée par elle. La famille, qui est encore largement dans les faits et les perceptions, la cellule de base de la société, serait donc amenée à exploser, contrairement à la plupart des autres imaginaires de conflit. Si la guerre des races peut être pensée comme une possible régénération, la guerre des sexes au contraire est vue comme une auto-destruction.


On en arrive donc (encore) à la classique distinction duelle dans la forme de la violence généralisée : l’opposition entre guerre régulière et guerre civile. Encore de nos jours, il y a cette permanence d’une vision de la guerre régulière (polemos) comme potentiellement juste, dont peut sortir un bien. La guerre civile (stasis) est elle toujours un fléau stérile. L’imaginaire de la guerre des sexes repose sur l’idée de guerre civile, peut-être celle qui serait la plus radicale et la plus décisive possible, plus que tout conflit politique, raciale ou social.

L’énonciation apocalyptique de la guerre des sexes fonctionne parce que presque rien ne peut paraître, dans l’imaginaire commun, comme plus destructeur. C’est la forme la plus grave de la forme la plus abominable de conflit (moult superlatifs). Son efficacité d’un point de vue imaginaire est donc très fort quoique un peu sensationnaliste.

La guerre des sexes porte donc une symbolique extrêmement forte et qui traduit la fin même de la civilisation telle qu’on la connaît. Contrairement aux autres dominations, il est presque impossible de se représenter un tel conflit ouvert, alors que de nombreuses  »guerres de races » ou  »guerres de classes » ont pu avoir lieu.


Ce qui est néanmoins particulièrement pernicieux, c’est bien de faire porter sur les féministes la charge d’un possible basculement vers l’affrontement. Ce pour deux raisons : comme pour les accusations de censure, il est juste absurde de prétendre que dans nos pays, les féministes aient un pouvoir aussi important qu’elles puissent par elles-mêmes lancer une quelconque sorte de guerre des sexes. La diffusion de leurs idées, leur place dans les officines du pouvoir, leur capacité d’influence n’en font toujours pas (et c’est certainement bien triste), des actrices majeures de la vie sociale. On passera sur le toujours globalisant  »les féministes » qui ne prend jamais en compte le fait que les mouvements féministes sont nombreux, divers et pas toujours alliés les uns aux autres. Ceci pour commencer sur les féministes seules.

Néanmoins l’autre raison absurde est que, sans doute plus que tout autre groupe dominé, les femmes ont toujours eut un accès restreint aux moyens matériels et intellectuels, et ce encore aujourd’hui. Comme l’a montré Paola Tabet, les outils complexes et les armes ont toujours été un monopole masculin, pour se prémunir justement d’une égalité dans la violence, mais aussi pour empêcher les femmes de se mettre en danger (et donc de les préparer mentalement et physiquement au danger), pour les abrutir par le travail en les empêchant d’avoir accès à des outils le facilitant. On a justifié de nombreuses manières que les femmes soient écartées des activités militaires et guerrières ; encore aujourd’hui, les femmes sont dans l’armée très peu représentées sur les premières lignes de conflits. Elles sont également largement absentes des hautes instances de direction militaire. Le recours aux femmes lors des guerres a toujours été une mesure d’urgence (siège de villes, guerres d’extermination), mais la domination masculine s’est largement opérée par le monopole de la violence de la part des hommes. On remarquera toutefois que si les hommes se sont arrogé le droit d’être armés et brutaux, ils n’ont jamais épargné les femmes. La capacité à faire la guerre a été, plus ou moins jusqu’aux guerres modernes du XIXe siècle et la conscription, un privilège. Rendre les femmes et les féministes responsables d’une fantasmée guerre des sexes est donc un renversement total de la situation réelle, qui est que ce sont encore largement voire intégralement les hommes qui possèdent la légitimité et l’accès au savoir et aux moyens de la violence. La socialisation des hommes passent encore largement par la pratique et l’accoutumance à la violence.

Ce qui est sous-entendu, c’est donc que les féministes sont des personnes suicidaires qui préféreraient voir la destruction de leur classe plutôt que sa soumission, ceci est vu comme une atteinte même à la société. On peut être sûr que si les femmes s’organisaient en vue de commettre des violences de classe, la réponse des hommes serait violente et sans merci… comme elle l’a toujours été. Ce qu’on reproche en filigrane aux féministes, c’est aussi de prétendre que les femmes possèdent la capacité à décider de se suicider, la capacité à utiliser la violence… contre elles-mêmes. Les femmes n’ont en fait même pas cette possibilité, elles sont prisonnières parce qu’érigées comme sauvegarde de la civilisation, parce que seules capables d’enfanter, fût-ce à l’encontre même de leur propre bien-être. Les enfants, la responsabilité de l’éducation des futures générations, du soin envers les faibles sont des carcans qui brisent l’individualité des femmes.

Rappelons que si les hommes se suicident plus, les femmes affichent elles trois fois plus de tentatives de suicides. Les hommes se tuent bien souvent dans un geste d’individualisme désespéré et parce qu’ils disposent, eux, d’une éducation à la violence définitive et des moyens de l’appliquer. Les femmes tentent de se suicider en utilisant généralement des manières moins efficaces, comme d’ultimes appels à l’aide plus que pour se délivrer définitivement de leur souffrance.

Prétendre que ce sont les femmes et les féministes qui seraient les responsables de la guerre des sexes est également abusif parce que dans le schéma patriarcal, comme dans tout système de domination, c’est toujours l’oppresseur qui détermine le niveau de violence ; ce parce que c’est lui qui possède les moyens les plus variés et efficaces de l’exercer. La violence des opprimées est avant tout une réponse à celle qui s’exerce contre elles. Dans un univers où la police anti-émeutes, l’armée et les instances de commandement sont toutes composées d’hommes, comment imaginer une réponse armée et assez menaçante pour être crédible de la part de groupes de femmes. Dans nos sociétés modernes, les citoyen-ne-s sont largement désarmés en face de l’Etat. Cette vérité, s’ajoutant à la permanence du désarmement des femmes, induit que les femmes, en tant que classe, ne sont pas capables à l’heure actuelle de s’opposer par la violence à leur oppression. Seules des actions individuelles peuvent exister, mais une quelconque guerre des sexes est pour la société dans laquelle nous vivons un impensé parce qu’impensable. La violence ponctuelle des femmes est un îlot dans l’océan de la violence masculine. Ceux qui déterminent l’échelle de la violence sociétale et même la réponse (violente) à celle-ci sont encore de manière écrasante les hommes. Les femmes n’ont simplement, comme tous les opprimés mais peut-être plus encore que les autres (bien qu’il ne s’agisse pas d’un concours), une incapacité à utiliser la violence légitime comme porte de sortie à leur oppression.

Pour conclure, la dernière absurdité de la rhétorique de la guerre des sexes, c’est le simple fait de dire que nous risquerions d’y arriver. Je pense pour ma part qu’il n’y a pas de risque : nous sommes déjà en plein dedans. La guerre des sexes existe en fait depuis cette fameuse  »nuit des temps » (vous savez, cette nuit d’où vient le patriarcat et ces trucs tout pourris). La violence systémique et déshumanisante des hommes envers les femmes n’est pas à venir, elle est là depuis bien longtemps. Les viols, la violence conjugale, les mutilations génitales, l’abrutissement des femmes par un travail non reconnu socialement, le devoir sacré et déshumanisant de la maternité (on reconnaît la valeur d’une individue par sa capacité à faire naître un homme plus que par son existence propre) sont autant de moyens de coercition plus ou moins brutaux qui les affligent de manière spécifique, les tenant en respect et perpétuant la domination patriarcale. La prééminence du masculin dans nos sociétés, la place hégémonique des hommes dans les organismes de pouvoir et les instances responsables et garantes de la violence publique ne se sont pas faites un beau matin, mais par la brutalité et la subordination des femmes. Il n’y a pas de victimes sans coupables, les femmes ne sont pas dans les positions de vulnérabilité dans lesquelles elles sont par erreur ou hasard : elles y sont pour y avoir été enfermées par les hommes et ce, par le monopole de la violence légitime et par les moyens qui vont avec. La guerre des sexes est partout présente dans nos sociétés occidentales, chaque viol, chaque femme battue et tuée par un (ex-)mari jaloux est un acte de cette guerre de basse intensité dont la force n’a pas diminué pendant la pacification des XIX-XXe siècles. Toutes ces violences font partie du continuum de la guerre des sexes. Lorsque l’on crie à la guerre des sexes, c’est bien pour camoufler sa réalité quotidienne.

Pour (réellement) conclure et en paraphrasant sans merci Warren Buffet :
Il y a une guerre des sexes, mais c’est ma classe, celle des hommes, qui la conduit; nous sommes en train de gagner, bien que nous ne le devrions pas.

Confusion, Anachronisme et Récupération dans le Queer

(Je reprécise pour ne pas donner l’impression de masquer mon appartenance politique : mon approche théorique est avant tout celle du féminisme radical, qui de fait est très éloigné, si ce n’est franchement opposée aux théories queers)

Ce qui me gène d’abord dans le mot de  »queer », c’est bien son manque de clarté sur ce qu’il signifie, définit et englobe concrètement. Il va de soi que ce caractère flottant et imprécis est revendiqué et constitue ce qui est sensé être un de ses atouts, néanmoins cela ne fait selon moi que renforcer un pluralisme potentiellement dangereux, comme je vais essayer de le montrer. Si le Queer se veut une réaction à l’ordre hétérosexuel/straight, en tant que tel il ne représente rien de précis, en particulier parce qu’il se veut la somme non-finie de toutes pratiques et pensées non straight ; il n’a aucune ligne commune. Ainsi des pratiques gays, lesbiennes, bdsm peuvent toutes recevoir à l’envi le qualificatif de queer ; contrairement à ce que cette théorie suggère (c’est-à-dire qu’est queer ce qui se dit queer), certaines pratiques sont pourtant dites queer sans s’être elles-mêmes décrites ainsi. Le queer devient souvent et rapidement un synonyme abusif de LGBTetc. ce qui traduit selon moi plus un effort de récupération politique que de tentative de créer réellement une unité à la fois théorique et politique (qui n’a d’ailleurs pas forcément lieu d’être). On pourra ainsi voir sous-entendre que des penseuses comme Audre Lorde ou Monique Wittig étaient queer avant l’heure, quitte à faire ce que je pense être un contresens complet sur leurs idées et leurs conceptions de l’identité. Tout ce qui ne ressemble pas à une activité straight actuelle peut se voir appliquer abusivement le terme de queer, quitte à faire des contresens historiques éhontés comme par exemple définir comme queer l’homosexualité de la Grèce Antique (qui servait en fait de ciment misogyne et patriarcale et certainement pas de subversion sociale).

Le queer se pose comme une multiplicité de pratiques derrière un mot unique ce qui n’est pas forcément la panacée et sert potentiellement à avancer caché derrière un fourre-tout théorique capable du pire comme du bon (je vais pas écrire  »meilleur », faut pas déconner). Le queer se définissant en négatif ( »tout ce qui n’est pas straight »), il est donc extrêmement permissif et inclus des sexualités qui sont de fait politiquement très diverses et parfois opposées dans leurs intérêts. Le queer ne saurait donc être un  »mouvement » puisque n’importe qui peut légitimement se dire queer et (presque) n’importe quoi peut l’être. Il n’y a pas de points de ralliements et de politiques clairement affichées dans le terme même de queer, là où par exemple le lesbianisme radical est lui signifiant. Plutôt que de créer une identité, le queer invite donc à se mêler à une foule indistincte aux intérêts distincts.

Ce mélange des genres engendre une confusion et souvent une invisibilisation de certains mouvements, logiquement au profit d’autres. Le particularisme politique de certaines sexualités, comme le lesbianisme vis-à-vis de l’homosexualité masculine, est donc nié. Pour le cas des lesbiennes par exemple, ce qui crée leur caractère spécifique, c’est bien leur sortie du champ des intérêts masculins, leur coupure avec la société masculine. Rappelons qu’une des bases du Patriarcat est la proximité de l’oppresseur et de l’opprimée. Une des propositions révolutionnaires du lesbianisme radical, c’est bien de mettre à bas cette proximité. Néanmoins, le queer, en mélangeant les sexualités, en les supposant proches, brise certains des enjeux mêmes des positions politiques de sexualités minoritaires. Les lesbiennes se retrouvent de nouveau rapprochées d’hommes, alors mêmes que dans la plupart des pays, les échecs de mouvements homosexuels mixtes sont nombreux. En France par exemple, après avoir aidé à créer le FHAR, en réaction à l’hétéro-sexisme des féministes, les lesbiennes ont vu bon nombre de leurs positions invisibilisées et ont dû faire face à la misogynie de certains gays, de telle sorte que la solution fut de créer un groupe non-mixte ‘femmes’ et ‘homosexuelles’ (les Gouines Rouges). C’est donc un contresens historique que de créer un espace théorique et politique qui mélange indistinctement toutes sexualités, surtout avec une définition aussi minimaliste que  »tout ce qui n’est pas straight » (et même cela vacille puisqu’on peut trouver mention de tentative d’un queer-straight, comme quoi on est jamais à l’abri d’absurdités de la part d’universitaires).

 »Pire » encore, le Queer ne remet même pas réellement en cause l’hétérosexualité en tant que telle, puisque cette dernière ne nécessite que d’être conscientisée et  »queerisée », pour continuer à avoir droit de cité comme sexualité  »minoritaire », de marge. Dans une perspective féministe, si la pratique de l’hétérosexualité se doit d’être pensée et réfléchie comme un construit, même ainsi pratiquée, il serait absurde de lui prêter des caractères subversifs. Il est je pense possible de pratiquer une sexualité hétéro plus  »saine » d’un point de vue éthique et de tenter de la débarrasser de son appareil patriarcal. Néanmoins, même de cette manière, parce que nous vivons dans une société hétéro-patriarcale, elle ne saura jamais représenter aucune espèce de danger pour l’ordre établi.

D’autre part, en mettant l’accent sur la performance de genre et l’activité sexuelle, le queer tourne potentiellement le dos à tou-te-s celleux pour qui ces deux choses sont plus affaire de souffrances et de contraintes que de potentiels d’épanouissement. Selon les termes de Christiane Rochefort, les mots n’ont pas la même signification, selon qu’ils sortent de la bouche des dominants ou des dominées. Pour certaines personnes, le sexe est une corvée voir un danger. Comment la théorie queer et son exubérance sexuelle peuvent-elles toucher ces personnes qui n’ont eu qu’à souffrir de leurs pratiques sexuelles ? Cet enjeu ne semble qu’être peu développé, ce qui compte, c’est bien plus souvent de créer sa propre sexualité et d’expérimenter ; mais comment faire lorsque les moyens intellectuels ont été enlevés pour penser une sexualité qui soit propre, à soi ? Comme l’a montré N.-C. Mathieu, un des efforts du Patriarcat, c’est l’appropriation par les hommes de la connaissance sur les pratiques sexuelles ; quel avenir ont les victimes de ces pratiques dans un univers queer ?

Le Queer ne risque-t-il pas d’être une nouvelle mascarade comme le fut en partie la  »libération sexuelle » des années 60-70, qui amena aux femmes son lot de malheur et de nouvelles contraintes ? La liberté sexuelle a toujours existé… pour les hommes. La libération d’après-guerre put certes être bénéfique à de nombreux endroits pour les femmes, mais ce sursaut a également profité aux hommes qui y ont gagné un accès légitimé et plus important encore aux femmes. Puisque les dominants de toutes sortes (sexe, économique, intellectuels) ont toujours une longueur d’avance, puisque le Queer peine à prendre en compte les rapports de pouvoir, qu’est ce qui empêchera les dominants de prendre leur part du gâteau queer ? (et ils y ont d’ores et déjà goûté)

Le mot de queer, en explosant les particularismes des sexualités minoritaires, peut tendre à invisibiliser les pratiques réellement anti-patriarcales, ce en mettant sur un pied d’égalité activisme politique et jeux sexuels, sans réellement faire d’états des lieux du danger que représentent les pratiques queers envers l’ordre établi. Le Queer enjoint parfois à se contenter d’une simple activité sexuelle non-conventionnelle comme subversion, ce qui est une dimension particulièrement minimaliste de l’activisme anti-patriarcal et bien souvent, un vœu pieux. L’homosexualité masculine ou le BDSM par exemple, ne contiennent pas par essence une dimension subversive, aussi anti-essentialiste qu’il se dise. Bien souvent, le mouvement queer prétend que ses adeptes mettent en danger l’ordre hétéro-patriarcal par leur existence même, ce qui encore une fois tient selon moi du conte de fées révolutionnaire digne des adeptes du  »Grand Soir ».

Beaucoup plus problématique, la théorie Queer peut servir à camoufler certaines pratiques qui sont, elles, ancrées dans un rapport de domination, comme la pédophilie par exemple. Il ne s’agit certainement pas de dire par là que les queers sont tous des pédophiles en puissance où qu’iels soutiennent implicitement la pédophilie, ce serait un procès d’intention absurde. Le problème étant que de la manière par laquelle il se définit, le queer laisse la porte ouverte à l’infiltration par de telles personnes ou de telles courants et s’éloigne de manière claire de la subversion qu’il prétend incarner. Il y a ici une ouverture que peuvent emprunter des formes réactionnaires et oppressives de sexualité. Le fait que la théorie queer soit bien souvent déficiente au niveau de l’approche en termes de rapports de pouvoir et de système de domination, au profit d’une vision libérale à l’anglo-saxonne, n’arrange rien et accentue le relativisme qui aide à mettre côte-à-côte des populations diverses en prétendant que leurs combats sont similaires.

En plus d’un flou qui peut potentiellement être dommageable, il y a bien souvent une absence de prise en compte, à la base, des différences idéologiques qui sous-tendent les différentes sexualités minoritaires. On sait, de par les différents mouvements historiques et par simple bon sens, que les intérêts des gays ne sont pas nécessairement les mêmes que ceux des lesbiennes, qui ne sont pas les mêmes que ceux des transsexuel-les, des adeptes du BDSM, etc… Ce qui est à craindre, c’est bien une mise à l’écart de certaines questions en fonction des intérêts de personnes bénéficiant, au delà de leur sexualité, de privilèges (académiques, économiques, de genre), leur permettant de mettre sous leur conduite ou orientation la politique queer locale. De manière peu surprenante, parce que le Queer semble avoir un train de retard sur les questions d’intersectionnalité, c’est souvent le sexisme, le virilisme et l’anti-féminisme de membres éminents qui est le plus facile à mettre en lumière. Il n’est pas nouveau de constater le potentiel misogyne des groupes gays, la potentielle biphobie des lesbiennes, la transphobie de la plupart de la population, même celle homosexuelle. Mettre toutes ces catégories de personnes sous la même bannière risque de revenir fatalement à une invisibilisation des classes les plus opprimées au profit des classes les plus privilégiées et à une perpétuation en interne des dominations, d’abord par non-reconnaissance du caractère systématique des dominations.

Étant donné que même des hommes cis-hétéros, pour peu qu’ils aient réfléchi à leur sexualité de dominants, peuvent se dire ‘queer’, on voit mal ce qui les retiendraient de mettre en avant leur propres agendas politiques, au détriment de groupes moins visibles (trans, lesbiennes). On en arrive donc ici et là à avoir des théories queer menées par ces hommes cis-hétéros, ce qui est tout de même un comble lorsque la base de ce mouvement est justement une remise en cause du paradigme hétérosexuel. Les féministes des années 60-70, parce qu’elles ont dû batailler pour se faire leur place dans le monde académique, ont toujours été vigilantes vis-à-vis des tentatives d’infiltration de leur champ d’étude par la gente masculine (cf Bourdieu). Chez les Queers en revanche, ce risque de détournement ne semble jamais pris en compte, ce qui aboutit de fait à maintenir au pouvoir ceux qui y étaient déjà.

Ce qui peut être également dommageable, c’est le caractère plus global du queer à phagocyter des espaces de pensée proches pour s’immiscer dans leurs politiques. Historiquement, le queer s’est développé outre-Atlantique en opposition au féminisme et au féminisme radical en particulier. Le queer se présentait comme une alternative au féminisme, comme une variante plus  »croustillante » aux mouvements des femmes qui s’essoufflaient et étaient durement marqués par le ressac des années 80. Le mouvement queer, qui était largement influencé par les théories gays et androcentrées, était en quelque sorte une continuation des ruptures des mouvements homosexuels des années 70. Pourtant, la théorie queer se greffe de plus en plus sur la théorie féministe, prétendant l’enrichir, alors même que son développement est largement en opposition, comme une sorte de troisième voie à la fois au féminisme radical et à l’hétéro-patriarcat. Son tour de force est donc de recentrer les questionnements féministes vers la sexualité avant tout et hors des aspects matériels de l’oppression, ou tout du moins sans les approches matérialistes, au profit de l’approche post-structuraliste. Prétendre par là un progrès est je pense particulièrement mal venu. Non pas que l’approche queer et le postmodernisme soient strictement à jeter, néanmoins ils n’apportent presque jamais de considération en termes de système de domination et de rapports de force, qui sont pourtant les idées sur lesquelles s’est créé le féminisme moderne et dont il a cruellement besoin pour rendre compte du vécu des classes minoritaires.

En plus de cela, on en vient rapidement et largement à faire de  »l’anachronisme queer » en décrétant comme queers des penseur-euse-s qui, bien que revendiquant une sexualité non-straight, ne pouvait par leurs approches se confondre avec les théories queer. Des personnes comme Audre Lorde ou Monique Wittig sont issues de la pensée radicale et n’ont de fait rien à voir avec la pensée queer. Lorde s’est toujours décrite comme une lesbienne dans la veine du lesbianisme politique radical, comme coupée de la communauté des hommes et de leur imaginaire, elle n’était pas non plus pour un rapprochement d’intérêts avec les gays. Monique Wittig a été influencée par le féminisme matérialiste français ; si elle forme la  »frange sexualité » et littéraire du mouvement (avec Tabet et Mathieu pour l’anthropologie, Delphy pour la socio-économie et Guillaumin pour la sociologie), son courant a toujours été celui du lesbianisme radical et certainement pas du queer qui restait encore à faire. La récupération de ces deux figures parmi d’autres est donc une farce particulièrement sinistre. Il est significatif que ces rapprochements soient faits de manière autoritaire sur une base discursive et non pas politique : puisque Lorde et Wittig n’étaient pas straight, c’est donc qu’elles étaient queers ! Qu’importe si l’on commet un abusif contresens politique en se limitant à une définition à minima de l’activisme, il faut ce qu’il faut pour se réapproprier des figures historiques. Les queers font d’ailleurs contre les féministes radicales nombre d’atteintes au consentement : seraient queers non pas seulement celleux qui se disent queers mais également, contre leur gré, celleux qui sont dit queers car pensé-e-s comme tel-le-s. On crée aussi une filiation abusive avec des pratiques non-straight historiques, qui ne sont bien souvent pas replacées dans leurs contextes historiques et qui sont ainsi dépolitisées et de fait essentialisées : tout ce qui ne serait pas décrit actuellement comme straight est queer, quand bien même certaines de ces pratiques étaient utilisées à l’époque pour renforcer l’ordre hétéro-patriarcal et les différentes dominations sexuelles. On politisera également à outrance en donnant un sens queer anachronique à des pratiques comme le travestissement, qui étaient plus souvent affaire de survie que de subversion.

Le queer se nourrit du confusionnisme hérité de sa définition même et, bien trop souvent, invisibilise les groupes les plus vulnérables, parfois au profit et jusqu’à la récupération théorique et pratique par des adversaires de ces mêmes groupes.

Cet article se veut une rapide critique de la permissivité néfaste qu’a le queer dans ses fondations, qui sont par ailleurs théoriquement fort fragiles. Il ne s’agit pas de dire que tout groupe ou cercle queer répond à ces accusations, mais que bien assez l’ont fait par le passé pour pouvoir jeter un voile de suspicion sur ce concept théorique, qui emprunte souvent plus au libéralisme, au libertarianisme, à l’anti-féminisme et au virilisme, qu’à des concepts réellement subversifs, matérialistes, libérateurs et émancipateurs. Le Queer peine à convaincre de sa pertinence théorique et de sa portée révolutionnaire, s’embourbant dans une auto-satisfaction aveugle, propre à sa parenté  »post-iste ».

Déconstruction et Subversion

Petite réflexion sur deux termes largement utilisés dans le militantisme.

Mais d’abord définissons parce que ça ne sert à rien de déblatérer sur des mots qui ne sont pas compris ou entendus d’une même façon.

Pour commencer, la déconstruction n’est pas entendue dans le sens discursif (et postmoderniste – beuh), il s’agit plutôt de mettre en avant que la société est ‘construite’ et que l’étant, ses normes peuvent être mises à bas et tout du moins, déconstruites. Que la société et que les différents comportements sociétaux sont construits, c’est donc reconnaître qu’il n’y a plus (pas ?) d’état de nature. Dans un élan compatissant, on pourra dire que nature et culture sont mélangées à tel point qu’elles ne peuvent pas être différenciées et qu’attribuer tel comportement à la nature ou à la culture est sans intérêt car rien n’est 100 % naturel ou 100 % construit. Je pense pour ma part que la part de ‘nature’ ou ‘d’instinct’ est en fait si minoritaire qu’elle en devient presque négligeable et que l’argument de la nature est juste une manière confortable de dire qu’on ne peut rien changer. C’est la culture qui crée le discours sur la nature, la culture ne se base pas sur la nature en tant que telle, elle existe justement pour dépasser et subvertir l’état de nature. Là où nature et culture se rejoignent, c’est quand cette dernière utilise la première pour justifier et garantir sa permanence, justement pour tenter de montrer son caractère non-construit et donc indépassable. La culture et la société sont pourtant en évolution constante, non pas qu’elles mettent au pouvoir ou en avant des classes différentes, mais plutôt que leurs références changent pour garder leurs caractères hégémoniques (cf Lampedusa :  »Si nous voulons que tout reste comme tel, tout devra changer »). Reconnaître que les choses sont construites, y compris l’idée même de nature dans la société, c’est implicitement reconnaître que ce sont bien les personnes qui, par leurs actions, modèlent la société (bien que la société, par son inertie, modèle elle aussi les comportements) ; c’est aussi se rendre compte que rien n’est donné pour toujours et qu’il est possible de mettre au jour de différentes manières ce caractère construit, que nous pouvons aller à son encontre. Pour cela, nous pouvons donc déconstruire des comportements, des attentes, des attitudes en réfléchissant à comment la société nous inculque des automatismes et en tentant d’en dévier. Déconstruire, c’est donc s’attacher à un élément et, en général par l’absurde, montrer que l’on peut s’en séparer. C’est tout d’abord un processus intellectuel, il faut révéler la construction. Ensuite, peuvent se mettre en place toutes sortes d’actions ou de comportements pour déconstruire nos propres habitudes construites. Néanmoins est-ce suffisant ? Ou plutôt où va-t-on à partir de ces considérations…

Ce qu’il faut réaliser je pense, c’est que cette idée de déconstruction, de montrer les failles de la société, cette dernière est tout à fait prête à le faire d’elle-même. La société conservatrice a beaucoup plus d’auto-dérision qu’on ne pourrait le penser et c’est pourquoi déconstruire ne veut pas forcément dire remettre en cause ou mettre en défaut quoi que ce soit, en particulier lorsqu’on parle de comportement individuel. L’exemple  »par excellence » c’est le carnaval, qui est la forme institutionnalisée même de la déconstruction sociale, qui brise les carcans pendant un temps bref et met en branle les fondations de la société. Pourtant si l’on s’intéresse un tout petit peu à cette pratique et à ses différents avatars, on se rend vite compte que le but du carnaval, comme tout ce qu’on peut nommer un  »rituel d’inversion » – c’est à dire un acte de groupe qui inverse les règles sociales typiques – c’est bien de renforcer les normes sociétales conservatrices, en montrant l’absurdité de la dite déconstruction. Ces pratiques qui fonctionnent sur la déconstruction mais qui sont admises et téléguidées par la société, peuvent aussi servir de soupape pour délivrer d’une partie de la tension sociale entre les différentes classes. Mais en tant que tel, un acte  »déconstruit » (bon c’est pas joli mais j’espère que vous voyez l’idée) ne remet pas forcément en cause la construction de la société, c’est un simple jeu sur les codes.

La déconstruction donc, n’engage nullement la subversion.

Mais alors qu’est-ce que la subversion ? Et bien en allant directement à l’étymologie latine (moi qui n’ait jamais apprécié le latin, ça me fait une belle jambe), c’est la tentative de mettre en danger une institution, ici donc de mettre à mal des normes sociétales. Dans cette tentative, une phase de déconstruction est certainement nécessaire, ne serait-ce que parce qu’il faut à un moment réfléchir à la forme que prend la société pour se maintenir à un endroit, ce n’est qu’ensuite qu’on peut la mettre en défaut. La subversion néanmoins ne saurait être qu’un exercice de pensée, elle doit se traduire en acte – d’après mes souvenirs, les révolutions ne sont pas arrivées parce que quelqu’un y a pensé très fort.

La subversion se doit donc d’abord de frapper un pilier de l’ordre établi, il est nécessaire de déstabiliser, on ne fait pas de la subversion en étant friendly malheureusement. Et donc par exemple lorsqu’il est nécessaire de mettre à jour, de dénoncer et de tenter de faire disparaître des privilèges, cela ne peut pas être fait sans mettre en cause les privilégiés.

Cet article ressemblera sans doute à une querelle linguistique sur la définition de certaines pratiques, néanmoins il n’est je pense pas inintéressant de montrer que pointer du doigt et jouer avec les codes de la société ne revient pas à la mettre en danger et à la dénoncer, la société s’acquitte très bien de ses trublion-ne-s. Pour donner dans l’exemple, lorsque des hommes connus mettent des talons pour mettre à jour les contraintes qu’ont les femmes à se déplacer dans l’espace urbain et pour se l’approprier, cela n’a pas tout à fait la même charge que lorsque 250 féministes cagoulées (ou pas d’ailleurs) descendent de nuit dans la rue pour inscrire, ne serait-ce que pendant un instant, leur marque dans un univers nocturne, qui est encore pensé largement comme appartenant aux hommes.

Pour moi, la déconstruction est un peu le stade infantile de la subversion. J’ai toujours trouvé l’affirmation d’être déconstruit comme une sorte de pis-aller, quel intérêt si ce n’est pour aller plus loin ? Le travestissement par exemple existe depuis des millénaires, en tant que tel il n’a jamais rien mis en danger. Être  »déviant-e » ou  »déconstruit-e » n’a je pense qu’une valeur toute relative qui ne remet certainement pas en cause ni ne dénonce les codes de la société, c’est au pire faire de normes oppressives un matériel de jeu. Lorsque cela vient de personnes politiquement conscientes et engagées, cela peut être particulièrement crispant.

J’ai l’impression d’écrire cela en laissant beaucoup de zones d’ombres et de non-dits, en espérant que les vécus particuliers rempliront les blancs. En attendant une suite…